Notre compréhension actuelle des dinosaures fait paraître bien primitif ce que nous en connaissions il y a 50 ans.

Dans ce passé récent, nous n’avions que des fossiles à explorer : des ossements, des dents, des traces de pas. Aujourd’hui, nous avons la chimie. Dans une étude publiée récemment, les chercheurs américains et allemands Jasmina Wiemann, Tsu-Ruei Yang et Mark Norell rapportent avoir utilisé la microspectrométrie à haute résolution Raman pour révéler que les premiers êtres à avoir pondu des oeufs colorés n’étaient pas des oiseaux, mais des dinosaures.

Le simple fait que nous trouvions des oeufs de dinosaures — dans leurs nids — est déjà passablement étonnant, mais notre capacité à en analyser les pigments nous amène plusieurs paliers plus haut. Wiemann et Norell expliquent qu’il existe deux pigments dans la coquille des oeufs, un rouge-brun et l’autre bleu-vert, et que la présence et l’assemblage en motifs de ces couleurs sont à la source de la diversité des oeufs que nous voyons aujourd’hui.

Aujourd’hui, seuls les oeufs d’oiseaux sont colorés ou mouchetés. Les autres ovipares comme les tortues ou les alligators pondent des oeufs blancs, qui se retrouvent enfouis, invisibles pour les prédateurs. Les oeufs des oiseaux sont pondus au-dessus du sol, habituellement dans des nids de formes diverses, exposés à la prédation. Certains nids peuvent être cachés, mais l’on suppose que la coloration fournit, du moins dans certains cas, une forme de camouflage.

Puisque les oeufs d’au moins quelques espèces de dinosaures étaient colorés de la même manière, il est raisonnable de penser que ces oeufs étaient aussi pondus au-dessus du sol et non enfouis. Cela implique conséquemment que les oeufs étaient gardés ou incubés par des adultes, ce qui fait surgir l’image assez amusante d’un saurien gigantesque installé avec précaution sur un « nid » plein d’oeufs. Crounche! Pourtant, cela ne semble pas poser problème : d’abord, certains de ces ovipares n’étaient pas de la taille des dinosaures les plus connus, mais plutôt des animaux graciles et de petite taille. Également, on a trouvé divers « nids » où les oeufs étaient juxtaposés en forme de « beigne », vraisemblablement pour permettre au couveur de poser la majeure partie de son poids directement sur le sol nu, tout en diffusant suffisamment de chaleur vers les oeufs.

Il s’agit d’un aperçu fascinant dans la vie de ces animaux qui nous ont précédés de 100 millions d’années, mais il y a d’autres raisons de s’émerveiller. Quand on s’intéresse aux motifs de camouflage des oeufs d’oiseaux modernes, la prédation n’est pas l’unique enjeu. On doit aussi parler du parasitisme de couvée. Plusieurs espèces, partout dans le monde, pondent leurs oeufs dans les nids d’autres espèces et leur laissent la tâche de la couvaison. En Amérique du Nord, le méchant est le vacher à tête brune.

Jusqu’au 20e siècle, les vachers vivaient « confortablement » en suivant les hardes de bisons dans l’ouest de l’Amérique du Nord. Les bisons écrasaient la végétation et soulevaient les insectes dont se nourrissent les vachers. Mais la nécessité de suivre les migrations pose un problème pour la reproduction. Si les vachers construisent un nid, pondent et couvent des oeufs, ils perdent contact avec la harde. Les oiseaux se sont donc adaptés à la situation en déposant leurs oeufs dans les nids d’autres oiseaux, puis redeviennent libres de suivre les bisons.

Même avec la quasi-extermination des bisons à la fin du 19e siècle, les vachers n’ont pas perdu pied. Ils se sont tournés vers le bétail et, avec la déforestation pour les besoins agricoles, ont trouvé de nouvelles espèces à parasiter à la lisière des forêts. Leur population a carrément explosé.

Il y a donc une guerre évolutionnaire entre les vachers et leurs victimes : certaines espèces reconnaissent les oeufs parasites et les jettent en bas du nid ou, s’il y a deux oeufs, abandonnent simplement leur couvée et recommencent leur nidification. Certaines parulines construisent même un second nid par-dessus le premier. Mais leur vulnérabilité ne s’arrête pas là : les oisillons des vachers éclosent souvent avant les autres, ils grossissent plus vite et en viennent souvent à dominer le nid. Il est fascinant d’observer une paruline adulte en train de nourrir consciencieusement un jeune vacher deux fois plus grand qu’elle, inconsciente de l’incongruité de leur association. Revenons aux dinosaures. Si les dinosaures pondaient des oeufs sur le sol, et si ces oeufs comportaient des couleurs et des motifs de camouflage, on peut supposer que, chez les dinosaures aussi, on connaissait les parasites de couvée.

Je n’ai aucune idée de la façon dont on pourrait valider cette hypothèse, mais mon imagination dérape quand j’essaie de me représenter des scénarios parallèles à ce que nous voyons aujourd’hui : un dinosaure attend patiemment à proximité d’un nid jusqu’à ce que les parents en couvaison s’éloignent temporairement. Il se précipite pour pondre, puis s’éloigne. Ou encore, un dinosaures s’immisçant entre des parents couveurs pour y déposer ses oeufs, sans même attendre. Ou un intrus fonçant à l’attaque, gobant quelques oeufs et les remplaçant par les siens.

Les dinosaures ne sont plus ici, mais leurs comportements sont peut-être toujours parmi nous.


Tiré du magazine Biosphère. Pour découvrir le magazine, cliquez ici. Pour vous abonner à la version imprimée ou numérique ou bien acheter le dernier numéro, cliquez ici.