Qu’est-ce qui a causé le petit âge glaciaire? Plusieurs facteurs, évidemment, mais une étude suggère que les hécatombes associées à l’invasion des Amériques par les Européens pourraient avoir déséquilibré le climat.
Dans quelle mesure le voyage de 1492 de Christophe Colomb est-il relié aux « foires sur la glace » tenues à Londres sur la Tamise gelée, en 1683-84 et en plusieurs autres occasions? Une étonnante nouvelle étude affirme que le voyage a provoqué le refroidissement climatique, du moins en partie. Il s’agit d’une recherche de doctorat menée par le géographe Alexander Koch de l’University College de Londres, publiée en janvier dans Quaternary Science Reviews.
L’augmentation accélérée des concentrations de gaz carbonique dans l’atmosphère entre le moment où les premières turbines à vapeur ont commencé à brûler des combustibles fossiles vers 1750 est bien documentée. Cette concentration est passée de 280 parties par million (ppm) dans l’atmosphère à 410 aujourd’hui. Avant cette augmentation, la concentration était restée stable pendant des milliers d’années. Sauf pour une période, entre 1550 et 1650, où elle avait diminué de 10 ppm. À quoi peut-on attribuer cette chute?
De manière surprenante, Koch l’associe au voyage de Colomb aux Amériques en 1492. C’est à ce moment qu’en prenant possession des territoires au nom de l’Espagne, le découvreur a déclenché la colonisation sauvage et dévastatrice de deux continents.
On évalue qu’avant l’arrivée des Européens, les Amériques abritaient 55 millions d’habitants, à comparer avec les 88 millions qui vivaient en Europe à l’époque. Ces autochtones formaient des sociétés complexes distribuées sur trois continents, plus les îles Caraïbes. Ces sociétés maîtrisaient des sciences et techniques complexes : agronomie, irrigation, construction, métallurgie… La ville de Mexico était aussi peuplée que Beijing et construite autour de
réseaux de canaux. Les Incas pratiquaient l’agriculture en terrasses jusqu’à de grandes altitudes sur les cordillères des Andes. Les populations d’Amérique du Nord harnachaient les crues des rivières pour irriguer leurs cultures de riz, manioc, piments, maïs, quinoa, cacao et fruits.
Puis arrivèrent les conquistadors et d’innombrables colons avec leur bétail, réservoirs d’épidémies inconnues des Amérindiens : variole, rougeole, influenza, peste bubonique, diphtérie, typhus, choléra, malaria.
Leur impact s’est ajouté au génocide. Dans les Antilles seulement, premier territoire de débarquement des Européens, la population est passée d’environ quatre millions à tout juste 22 000 vers 1570, un déclin de 99 %. Dans les territoires de l’empire inca, il ne restait, en 1620, que 670 000 habitants des neuf millions originaux, un déclin de 93 %. Un siècle après l’arrivée de Colomb, neuf autochtones américains sur dix étaient morts.
QUAND CHRISTOPHE COLOMB A DÉCOUVERT LE
« NOUVEAU MONDE », A-T-IL OUVERT LA PORTE AU PETIT ÂGE GLACIAIRE? L’ANNÉE 1492 A-T-ELLE MARQUÉ LE DÉBUT DE L’ANTHROPOCÈNE?
Cela signifie que des sociétés entières qui dépendaient de l’agriculture ont été détruites. Et cela a entraîné que des terres d’une superficie équivalente à la France sont retournées à la friche. Ce retour à l’état naturel a provoqué l’absorption de CO2 de l’atmosphère. Au total, on peut attribuer pour moitié (environ 5 ppm) la chute desconcentrations de carbone dans l’atmosphère durant cet étrange refroidissement de 1550 à 1650 directement à l’effondrement des civilisations amérindiennes, selon les conclusions de Koch. Les températures atmosphériques autour du globe ont chuté d’environ 0,15 °C en moyenne, dans une période qu’on a qualifié, après coup, de petit âge glaciaire.
À Londres, de 1649 à 1700, le cours inférieur de la Tamise, habituellement libre de glace à cause des marées salées, se mit à geler régulièrement. Au cours du féroce hiver de 1684, la rivière est restée gelée (la glace atteignant un pied d’épaisseur) durant un record de sept semaines. Dans les maisons, les citoyens grelotaient, le lait gelait pendant la nuit, les cerfs mouraient de froid dans les forêts. Et c’est ainsi que Londres connut sa première foire sur la glace, avec des pubs improvisés, des tripots, des scènes, des jeux et des courses, comme dans une kermesse champêtre.
Pour Koch, l’enjeu de retracer le fil de ces évènements est de discerner précisément quand l’Anthropocène a commencé. Le mot a été récemment forgé par les scientifiques pour désigner une nouvelle époque géologique. Le mot signifie « la nouvelle ère des humains » et réfère au fait que notre espèce a un impact sur les systèmes terrestres aussi profond, disons, que des évènements géologiques comme la chute d’astéroïdes ou des éruptions volcaniques en
série. Certains pointent le début de la révolution industrielle, vers 1750, d’autres la période des premières explosions nucléaires. Koch, de son côté, opte pour 1492.
Son travail est fascinant parce qu’il montre comment des gestes politiques — dans le cas présent, la colonisation — peuvent provoquer des basculements inattendus dans les systèmes fondamentaux de la planète. Cela devient évident quand on constate combien immenses et rapides sont les changements en cours dans la charge mondiale de carbone.
Après tout, le siècle d’hécatombe et de retour à l’état sauvage dans les Amériques a fait diminuer le taux de CO2 dans l’atmosphère de 5 ppm. Aujourd’hui, avec une économie dépendante des carburants fossiles, cette même région ajoute à l’atmosphère environ 3 ppm par année, à un rythme qui va en s’accélérant. Pire, nous n’avons même pas de plan pour ralentir la tendance, seulement des objectifs.
C’est ce rythme qui est terrifiant. Et c’est l’absence d’un plan, compte tenu de l’urgence
Tiré du magazine Biosphère. Pour découvrir le magazine, cliquez ici. Pour vous abonner à la version imprimée ou numérique ou bien acheter le dernier numéro, cliquez ici.