J’ai toujours été impressionné par les artistes capables de regarder un bloc de bois, de granite ou de ciment pour y voir une statue qui s’y cache et qui ne demande qu’à être libérée grâce aux mains adroites d’un sculpteur. En revanche, il n’existe aucun étang gelé que le Canadien et amateur de hockey en moi n’ait rêvé de transformer en patinoire extérieure.
Pour moi, rien n’est plus canadien que d’enfiler des patins et de profiter d’une surface extérieure glacée, particulièrement si cette étendue se trouve dans les profondeurs d’un boisé isolé, loin du vacarme de la ville. Et je ne suis pas seul à avoir cette opinion. Bobby Orr, icône canadienne et légende des Bruins de Boston, a écrit dans sa biographie Orr: My Story :
« Pour un joueur de hockey, aucune expérience ne surpasse celle de patiner sur une glace extérieure. La sensation des lames de patins qui fendent la glace extérieure fraîche, le crépitement des copeaux de glace qui volent en formant de petits arcs… l’air pur et frais qui frôle le visage et la chaleur incroyable ressentie en rentrant et en se frottant les orteils pour leur redonner vie. »
Bobby a raison; on ressent autant de joie en enlevant ses patins qu’en les enfilant avec la sensation de chaleur et de picotement qui nous envahit en rentrant à l’intérieur et en enlevant ces patins glacés lacés serrés.
Beaucoup de villes canadiennes poursuivent la tradition d’installer chaque hiver des patinoires extérieures bien entretenues et surveillées par la municipalité, transformant les parcs en terrains de jeu glacés pour les patineurs et les joueurs de hockey libre. Il y a aussi les villes comme notre capitale nationale, qui, grâce au canal Rideau gelé, offre à ses visiteurs une patinoire extérieure qui s’étend sur 7,8 km au cœur de la ville. Pour ma part, c’est plutôt en milieu naturel que je ressens la plus grande joie de patiner.
La surface de glace naturelle d’un lac ou d’un étang gelé est ce qui se rapproche le plus du paradis sur terre pendant l’hiver canadien, mais les bonnes conditions doivent être réunies pour qu’elle puisse se former. J’ai vécu sur le bord du lac Ontario durant presque 55 ans et je me souviens d’à peine deux occasions où le cycle parfait de températures froides suivies de neige, de pluie puis encore de froid a entraîné la formation d’une surface de glace miroitante en bord de rive digne d’une partie de hockey entre voisins.
Pour obtenir des résultats plus constants, j’ai décidé d’entretenir chaque année l’étang local qui se cache dans le boisé attenant à ma résidence située près du canal Welland dans la région des chutes Niagara. Entretenir un étang est un geste d’amour qui exige en premier lieu d’enfiler mes patins et de me transformer en Zamboni humaine pour dégager la surface irrégulière de la neige et la préparer à être inondée. Quelqu’un de plus sensé apporterait une génératrice, un boyau d’arrosage et une pompe afin d’inonder la glace; je préfère la vieille méthode qui consiste à briser la glace avec une masse pour ensuite verser des seaux d’eau sur la surface gelée de l’étang pour l’uniformiser. Cette méthode est aussi fastidieuse qu’efficace, mais il y a quelque chose de romantique à l’idée de se passer de l’équipement moderne.