Silvana Botros is a participant in Group 5 of the Canadian Conservation Corps.

Je me tenais au pied du mont Galatea le dernier jour de mon expédition dans les montagnes Rocheuses avec le Corps de conservation canadien et je me sentais profondément changée, en une meilleure personne.

Passer quatorze jours dans la nature, c’est l’aventure que j’avais toujours su que je voulais faire, mais c’est seulement à la fin que j’ai compris l’effet énorme que j’en retirerais.

Le voyage dans son ensemble a été rempli de défis difficiles, de rires, de pleurs et de croissance personnelle. Je n’aurais pas voulu que ce soit autrement. Comme je suis originaire de l’Est ontarien, mes septembres se caractérisent habituellement par une abondance de feuilles qui changent de couleur, de soleil et de températures qui permettent de se promener en chandail. Je supposais qu’il en serait de même de l’Alberta. Nous sommes plutôt arrivés à notre premier site de camping avec 20 centimètres de neige, une température de -9 °C et un peu de crainte dans l’esprit. Au début de l’expédition avec Outward Bound, je me sentais confiante, compte tenu de mon expérience du plein air, mais rien n’aurait pu me préparer aux péripéties que j’allais vivre dans les Rocheuses.

On route to Mount Romulus, our 18-kilometre day.
En chemin vers le mont Romulus, notre journée de 18 kilomètres.

Le cinquième jour, au terme d’une longue randonnée neigeuse de 18 kilomètres, du lac Elbow au mont Romulus, je me suis couchée dans mon sac de couchage avec un sentiment d’accomplissement et de bonheur, en me sentant prête pour le lendemain. J’étais loin de me douter que cette journée allait être l’une des plus difficiles non seulement de mon expédition, mais de ma vie. Nous voulions nous rendre du mont Romulus jusqu’à un camp d’équitation abandonné situé environ sept kilomètres plus loin. Ce trajet me semblait facile. Le jour suivant, nous sommes arrivés au sentier et j’ai découvert quelque chose de nouveau à mon sujet : j’ai vraiment peur des falaises et il y en avait plein le long du sentier sur lequel nous marchions.

Le début de la journée a été plutôt facile. Nous suivions des sentiers bien établis qui serpentaient en nous ramenant souvent plus haut dans le paysage montagneux. Puis le sentier a commencé à se rétrécir.  Il ne se laissait plus aisément distinguer des arbustes et des arbres rabougris (une végétation qu’on appelle krummholz) s’agrippant aux escarpements de la montagne. Le doux sentier en terre s’est bientôt changé en des talus d’éboulis instables où on ne discernait plus aucun sentier. J’ai commencé à me sentir nerveuse, à douter de mes appuis au sol et à maudire le sac de 27 kilogrammes que je portais sur le dos. L’atmosphère se modifiait au fur et à mesure que les autres randonneurs me dépassaient, l’un après l’autre. En tant que passionnée du grand air, je voyais ma confiance éprouvée et j’avais honte d’avoir de la difficulté à suivre le chemin. J’avais des attentes élevées à mon endroit, et je ne les atteignais pas (au sens figuré comme au sens littéral). C’est alors que les falaises sont arrivées.

Galatea Lakes
Le mont Galatea

Le sentier (ou l’absence de sentier) que nous parcourions a bientôt pris la forme d’une progression risquée, effectuée par moments  avec les mains, sur de grosses roches instables en haut d’un précipice de 50 mètres. Quand je tournais le regard vers le bas, il apparaissait clairement qu’un faux pas ne finirait pas bien. En bas d’où je me trouvais, il y avait une pente de 70 degrés dont je ne pouvais discerner la fin, et c’était pareil en haut d’où je me trouvais.

En proie à la peur soudaine de tomber et à mon manque de confiance en mes aptitudes, je suis entrée en crise d’angoisse aiguë, avec  hyperventilation et tout. Je sanglotais devant le trajet à franchir pour atteindre les points d’appui plus solides, environ 30 mètres plus loin, en me sentant impuissante. C’était la première fois que je réagissais de cette façon aux hauteurs. Je ne savais pas que ce serait ça qui me ferait m’écrouler. Tout au long des premières semaines du programme, j’avais gardé mon optimisme presque toujours rieur et ma façon d’envisager les choses comme avec des lunettes roses, mais cette nouvelle phobie, c’était quelque chose que je n’aurais pas pu anticiper.

À ce moment, ma famille de Chèvres de montagne a pris la situation en main et m’a aidée à traverser cette difficulté. Clark et Madeleine, guides d’Outward Bound, ont littéralement guidé chacun de mes pas en restant assez près de moi pour que je me sente en sûreté. Avec l’aide de mon équipe formidable, j’ai traversé le col et j’ai pu respirer un peu plus facilement.  Un grand merci à Lin et Jesse de m’avoir rassurée, d’avoir eu tant de patience et d’avoir voulu porter mon sac lourd dans les passages particulièrement inquiétants. Cette scène s’est répétée quelques fois pendant notre parcours de la journée jusqu’au terrain de camping. Ce n’est pas devenu plus facile, mentalement. Mais je me suis forcée, en larmes, à mettre un pied devant l’autre ou à faire ma progression à flanc de montagne sur le derrière (tout ce qui me permettait d’avancer était bon) et je me suis rendue au site de camping.

 

Mount Potts: view from the horse camp.
Le mont Potts : vu à partir du camp d’équitation.

Les journées se sont enchaînées et nous avons poursuivi notre parcours dans les Rocheuses. La neige venait puis repartait, les rires étaient abondants et je continuais de passer au-dessus de falaises que je détestais. Vers la fin de l’expédition, nous avons fait une randonnée d’une journée jusqu’aux lacs Galatea. Il neigeait ce jour-là, mais nous étions de bonne humeur. En scrutant le paysage devant moi, je voyais qu’à environ 50 mètres plus loin le sentier longeait le bord de la montagne. Ma respiration s’est suspendue un instant à la perspective de franchir encore une autre falaise, mais j’ai continué à marcher.

À partir du sentier, la vue était impressionnante : des lacs cristallins et la majesté des versants rocheux.  J’ai suivi le bord de la falaise prudemment et lentement, et je me suis arrêtée à mi-chemin. Pour la première fois, je me suis forcée à regarder en bas. Les grosses roches instables bougeaient sous mes pieds. Plutôt que de laisser la peur m’envahir, je me suis tenue debout et j’ai permis sa transformation en quelque chose d’autre. De si haut, je me suis détachée de ma peur et je l’ai remplacée par la résilience et la beauté.