Nous vivons à époque symbolique. C’est particulièrement vrai lorsqu’il s’agit d’espèces sauvages.

C’est un coup dur que d’entendre parler d’un vieux pin Douglas qui tombe sous les coups d’une tronçonneuse, d’un harfang des neiges qui ne parvient pas à pondre ou d’un autre baleineau noir de l’Atlantique Nord lacéré par un navire.

Chaque événement est tellement plus important qu’un seul individu. C’est un rappel que la main de l’homme est partout et qu’elle est rarement bienveillante.

C’est peut-être pour cela qu’il est si fascinant d’entendre parler d’expériences visant à réimplanter des espèces là où elles se trouvaient avant que nous les ayons chassées. Pour moi, cela signifie étudier la réintroduction dans le parc national de Banff du bison des plaines, une sous-espèce du bison d’Amérique.

C’est comme un triple coup de circuit, métaphoriquement parlant.

Il y a la bête elle-même. Le plus grand mammifère terrestre d’Amérique du Nord, qui parcourait autrefois ce continent, au Toujours sceptique, notre chroniqueuse voit une lueur d’espoir se profiler dans le retour des troupeaux de bisons de Banff Par Alanna Mitchell Illustration de Hawlii Pichette nombre d’environ 30 millions d’individus. Lorsque j’étais enfant, à Regina, j’avais l’habitude d’imaginer le bruit qu’ils faisaient en traversant les Prairies en grands troupeaux, les sabots labourant la terre, la tête pugnace penchée dans le vent. Je pouvais presque entendre leurs grognements de satisfaction lorsqu’ils s’arrêtaient pour se vautrer dans les marécages de la prairie pour se rafraichir et éloigner les insectes, pour ensuite se relever, dégoulinants de boue, et se régaler de carex. Ils constituaient une force de la terre, la sculptant pour les autres créatures qui y vivaient — jusqu’à ce que nous les ayons presque menés à l’extinction à la fin du 19e siècle. Le déclin était si critique que le gouvernement fédéral a acheté 700 bisons à un éleveur du Montana au début des années 1900 pour rétablir l’espèce, et en a installé une harde au parc national Elk Island, à l’est d’Edmonton.

Et il y a le lien séculaire entre le bison et les peuples autochtones qui comptaient sur lui pour se nourrir et se réchauffer, et qui avaient avec lui des liens spirituels et des liens de parenté. À mesure que le bison disparaissait, que les prairies étaient colonisées, que les familles autochtones étaient séparées par le gouvernement et coupées de leurs territoires de chasse, ces liens devenaient encore plus précieux.

Puis il y a Banff. Premier parc national du Canada, il a été créé en 1887 de concert avec les forces qui ont conduit le bison au bord de l’extinction et les peuples autochtones chassés de leurs terres. C’est un site d’une beauté déchirante. Avec ses Rocheuses enneigées emblématiques, ses vallées luxuriantes, ses lacs aux couleurs de joyaux et ses sources d’eau chaude sacrées, il occupe une place spéciale dans le coeur des Canadiens. J’ai lu un jour — peut-être s’agit-il d’une histoire apocryphe — que c’était une destination de lune de miel plus prisée des Canadiens que les puissantes chutes du Niagara.

Ces forces métaphoriques ont fusionné en février 2017. Des représentants autochtones du parc national d’Elk Island ont chanté des bénédictions pour le bon voyage de 16 bisons vers le sud jusqu’à Banff — la progéniture de ces animaux achetés plus d’un siècle plus tôt au Montana. En mai de la même année, le troupeau était passé à 26 lorsque des veaux sont arrivés dans un enclos de la vallée Panther, les premiers bisons nés à Banff depuis plus d’un siècle. Aujourd’hui, ils sont près d’une quarantaine, ils sont sortis de l’enclos et se promènent librement dans l’arrière-pays de Banff.

EN MAI 2017, EST NÉ À BANFF LE PREMIER BISON EN PLUS D’UN SIÈCLE. IL Y A MAINTENANT PLUS D’UNE QUARANTAINE DE BISONS « LOCAUX » QUI PARCOURENT LIBREMENT L’ARRIÈRE-PAYS.

Ils sont parmi l’une des rares sous-populations sauvages du Canada, qui comptent chacune moins de 1000 têtes. Bien que petit, le troupeau de Banff est considéré comme un ajout important à la population de bisons sauvages à l’ échelle mondiale. Son importance pourrait s’accroitre. À terme, Banff pourrait accueillir jusqu’à 1000 ruminants, devenant ainsi l’un des plus grands troupeaux sauvages d’Amérique du Nord, selon un article publié dans la revue scientifique PLOS One.

On retrouve maintenant à Banff tous les grands carnivores qui étaient là avant que les Européens ne colonisent le continent : loup, grizzly, ours noir et couguar. Maintenant que le bison est revenu, on y trouve tous les grands herbivores, à l’exception du caribou. Cette tapisserie de créatures, qui ont évolué pour coexister, est presque complète à nouveau. Une fois de plus, le bison, ce superbe ingénieur du paysage, façonne la terre. Banff se rapproche un peu plus de l’équilibre écologique.

Certains peuples autochtones se rendent en pèlerinage à Banff pour témoigner de la présence du bison, notamment les cinéastes du collectif Napi et les Nakoda. Ils racontent des histoires sur la façon dont les ancêtres autochtones et les bisons étaient liés les uns aux autres, nous rappelant comment les choses fonctionnaient autrefois. Écouter ces histoires est une façon pour les non-autochtones d’honorer le passé. C’est un autre type d’équilibre.

Pour moi, tout cela ressemble à une guérison. Cela symbolise ce qui devient possible lorsque nous décidons, en tant que société, de réparer les dommages.

 

Tiré du magazine Biosphère. Pour découvrir le magazine, cliquez ici. Pour vous abonner à la version imprimée ou numérique ou bien acheter le dernier numéro, cliquez ici.