Le 1er mars 2024, un groupe de scientifiques du New England Aquarium a fait une observation inhabituelle.
Au cours d’un vol de surveillance aérienne de routine des eaux côtières du Massachusetts, ces scientifiques ont aperçu une baleine grise, issue d’une population que l’on croyait éteinte!
Les baleines grises sont de grandes baleines à fanons qui sont facilement identifiables grâce aux motifs uniques de leur peau, marbrée de gris et de blanc. Elles se caractérisent aussi par leur nageoire dorsale, réduite à une bosse aplatie qui se poursuit par des « jointures » ou des crêtes distinctes vers leur nageoire caudale.
La population actuelle de baleines grises vit dans le nord de l’océan Pacifique et son parcours migratoire comprend des aires d’alimentation estivales le long des côtes ouest et arctique du Canada. Bien qu’historiquement les baleines grises peuplaient également l’océan Atlantique, cette population avait pratiquement disparu au XVIIIe siècle, en partie en raison de la chasse intensive.
Une baleine grise a cependant été observée ce mois-ci : c’est un événement extraordinaire, mais ce n’est pas la première fois que cela se produit. Au cours des 15 dernières années, cinq baleines grises ont en effet été observées dans les eaux de l’Atlantique. Sachant que ces baleines sont considérées comme éteintes dans l’Atlantique depuis près de 300 ans, chaque observation est un régal rare. Cette dernière observation est des plus intrigantes, car il est fort possible que la baleine observée soit la même qui a été observée plus au sud, en Floride, à la fin de l’année dernière.
La manière dont cette baleine grise a réussi à atteindre les eaux de l’Atlantique est très probablement attribuable au changement climatique. En raison des hivers plus courts et plus doux, la couverture de glace de l’Arctique a en effet diminué et a ouvert des zones auparavant inaccessibles en raison des obstacles physiques liés à la banquise. Les scientifiques pensent que ces baleines grises ont ainsi pu se déplacer du Pacifique Nord jusqu’à l’Atlantique en tirant parti de ce passage récemment ouvert dans l’Arctique, ce qui met en évidence l’impact rapide du changement climatique sur le comportement des grandes baleines.
Les baleines grises ne sont pas les seules grandes baleines dont la répartition a évolué dans l’Atlantique en réponse au changement climatique. Les baleines noires de l’Atlantique Nord ont ainsi déplacé leurs aires d’alimentation estivales de la baie de Fundy vers le golfe du Saint-Laurent, probablement en raison du fait que l’une de leurs principales proies a migré vers le nord au cours de la dernière décennie. Les baleines grises et les baleines noires de l’Atlantique Nord sont confrontées dans ces eaux à leur plus grande menace : l’enchevêtrement dans les engins de pêche. Mais ce danger n’est pas une nouveauté pour les baleines grises, car ces baleines (avec les baleines à bosse) comptent parmi celles qui s’enchevêtrent le plus dans les engins de pêche du Pacifique. Cependant, à mesure que ces baleines reviennent dans les eaux de l’Atlantique, où les risques d’enchevêtrement sont une préoccupation majeure, les gestionnaires et les décideurs politiques doivent envisager des mesures supplémentaires pour le suivi d’autres espèces. Bien que les mesures existantes et en cours de mise en place pour la conservation de la baleine noire de l’Atlantique Nord puissent contribuer à la protection d’autres espèces de baleines en péril, la mesure de cette contribution n’est pas encore clairement établie. Ce sujet de recherche est actuellement étudié par l’équipe de conservation marine de la Fédération canadienne de la faune.
Ces observations incroyables sont une délicieuse surprise pour les scientifiques, mais nous rappellent aussi l’importance d’exercer une surveillance cohérente et d’adopter des pratiques de gestion et des politiques flexibles capables de s’adapter à un environnement et à des populations en constante évolution.