Nous avons aujourd’hui à la Fédération canadienne de la faune envoyé une lettre à l’honorable Dominic LeBlanc, ministre des Pêches, des Océans et de la Garde côtière canadienne, lui demandant d’adopter des mesures immédiates pour conserver l’anguille d’Amérique.

Un déclin catastrophique de cette espèce a d’abord été remarqué dans le lac Ontario au début des années 1990, mais les mesures concrètes pour mettre fin à cette perte ou l’inverser ont été lentes et peu nombreuses. Cette espèce est maintenant considérée comme étant en voie de disparition en Ontario et à l’échelle internationale, mais elle demeure sans protection du gouvernement fédéral.

Bien qu’elle soit parfois crainte, l’anguille est inoffensive pour les humains. Elle est très importante du point de vue culturel et spirituel pour plusieurs peuples, dont les peuples autochtones de l’est de l’Amérique du Nord. De plus, elle a une grande valeur commerciale – une aiguille adulte de bonne taille peut coûter près de 50 $ dans un marché de poisson. Les quelque 850 000 anguilles adultes qui migraient autrefois de l’Ontario chaque année auraient une valeur de plus de 40 millions de dollars, mais malheureusement, il en reste que quelques milliers.

Le Comité sur la situation des espèces en péril au Canada a évalué la situation de l’espèce en 2012 et a conclu qu’elle était menacée selon les meilleurs renseignements scientifiques disponibles. Mais en vertu de la Loi sur les espèces en péril, les espèces ne reçoivent pas de protection officielle jusqu’à ce que le Cabinet informe le gouverneur en conseil qu’il en soit ainsi. Pour les espèces aquatiques, il relève de Pêches et Océans de recommander au Cabinet d’officiellement protéger l’espèce. Malheureusement, Pêches et Océans a mis trop de temps à fournir cette recommandation. La situation est complexe et Pêches et Océans devait mener des consultations exhaustives, mais sa période de commentaires a pris fin il y a deux ans hier. Entre-temps, l’Ontario a pris trois ans de retard dans la mise en œuvre de son plan de protection et de rétablissement des anguilles en vertu de sa propre Loi sur les espèces en voie de disparition.

Depuis 2012, deux choses se sont produites. D’abord, les populations d’anguilles dans les eaux intérieures ont connu un déclin marqué. L’année où l’espèce a été évaluée comme étant menacée à l’échelle nationale, 60 000 anguilles juvéniles sont retournées au lac Ontario. Ce chiffre a chuté de 8 000 individus par année. L’an dernier, seulement 6 700 anguilles sont retournées à cet endroit. Si l’anguille était une patiente en état critique, elle serait sur le point de mourir.

Ensuite, la majorité des mesures de conservation qui ont été menées dans les dix années précédentes ont été abandonnées. Le ministre fédéral de l’Environnement a initialement émis une déclaration en réponse au statut menacé de l’espèce indiquant ce qu’on faisait pour conserver l’espèce jusqu’à ce qu’une décision soit prise. Tout semblait prometteur sur papier, mais malheureusement, bon nombre des mesures proposées avaient déjà été abandonnées au moment de la déclaration, et plusieurs autres n’ont jamais vu le jour. Le Groupe canadien de travail scientifique sur l’anguille ne s’est pas rencontré depuis 2011 et n’a pas été remis sur pied. On devait signer un plan de gestion intergouvernemental provisoire depuis 2009, mais ça ne s’est jamais matérialisé. L’outil SIG pour les anguilles de Pêches et Océans a été mis au placard, bien que la FCF ait demandé à maintes reprises qu’il soit utilisé.

À part la protection juridique, le financement fédéral pour le rétablissement de l’anguille n’est pas disponible parce que l’espèce n’est pas inscrite sur la liste en vertu de la Loi sur les espèces en péril. La FCF a présenté une demande de financement en 2016 dans le cadre du volet de prévention du Programme d’intendance de l’habitat pour les espèces en péril, mais s’est vue dire que l’anguille n’était pas admissible puisque la décision de l’inclure sur la liste était « imminente ».

Entre-temps, Pêches et Océans et la province de l’Ontario n’ont pas exigé que les producteurs d’hydroélectricité fournissent des passages en amont aux anguilles juvéniles et réduisent le taux des mortalités chez les adultes produites par des turbines, et ce, en dépit des nombreux moyens juridiques à leur disposition (p. ex., la Loi sur les espèces en voie de disparition et la Loi sur l’aménagement des lacs et des rivières de l’Ontario et la Loi sur les pêches au fédéral). Occasionnellement, certaines mesures d’atténuation ont été mises en place, mais seulement dans un petit nombre d’établissements.

À ce stade, tout autre retard équivaudrait à l’abandon de l’anguille d’Amérique. Si le ministère des Pêches et des Océans prend au sérieux son devoir de protéger les espèces aquatiques, il doit immédiatement reprendre le rôle de leader auquel il renoncé il y a dix ans et remplir son mandat en vertu de la Loi sur les espèces en péril en fournissant une recommandation au Cabinet le plus tôt possible.