Les cavités des souches et des arbres creux constituent un habitat essentiel pour d’innombrables espèces d’oiseaux, de mammifères et d’insectes.

Lorsque les villes abattent ces arbres, généralement pour éviter des responsabilités légales, la faune locale disparaît.

Juste devant ma fenêtre, dans le parc situé en face de ma maison du centre-ville de Toronto, un sauvetage spectaculaire est en cours. Une travailleuse coiffée d’un casque se déplace dans la nacelle d’un camion au milieu des branches supérieures d’un vieux chêne massif qui a connu des jours meilleurs. Elle navigue dans la canopée à l’aide d’une tronçonneuse, coupant les branches sans feuilles, les chicots en lambeaux et même quelques grosses branches. Le résultat final sera un vieil arbre diminué aux trois cinquièmes, à l’allure un peu loufoque, qui pourra vivre un peu plus longtemps.

Plus important encore, du moins pour le contentieux de la ville, il ne constituera plus une menace pour quiconque. Il s’avère que c’est le but de la plupart des élagages pratiqués dans les villes. Il ne s’agit pas de la santé des arbres ou même de l’esthétique. Ces élagages sont motivés par l’obligation légale de la municipalité d’assurer la sécurité des habitants en empêchant le bois mort de leur tomber sur la tête.

Dans la catégorie des conséquences non voulues, cet élagage constant se solde par un déclin de la biodiversité urbaine. En effet, les minuscules cavités qui se forment dans les branches fissurées, cassées ou mortes et dans les arbres mourants et creux qui risquent de tomber sont essentielles à la survie d’un large éventail de créatures. Enlevez le bois mort et vous créez une crise de logement pour au moins 89 espèces disparates d’oiseaux, de mammifères et d’insectes au Canada qui en dépendent pour nicher, se percher, se reproduire et stocker de la nourriture. Pire encore, chez de nombreuses espèces, le nombre d’oiseaux qui se reproduisent est déterminé par la disponibilité de cavités dans les arbres. C’est, par exemple, une explication de la raison pour laquelle certaines populations de pics au Canada ont chuté précipitamment.

Les cavités naturelles résultent des cassures et des fissures des branches. Elles se forment également dans les vieux chancres et les blessures qui, il y a longtemps, ont compromis la couverture de l’écorce. Les champignons s’y introduisent et s’y propagent; avec le temps, ils provoquent la pourriture et invitent les insectes. Lorsque le bois de coeur ramollit et s’affaiblit, des espèces comme le pic flamboyant et le pic maculé s’y installent, à la recherche d’insectes à manger ou d’un nid sûr, ou les deux. Puis ils s’en vont. Les grands pics, les géants du groupe, laissent un espace particulièrement spacieux lorsqu’ils décampent. Des excavateurs moins importants comme la sittelle à poitrine rousse et la mésange à tête noire se joignent à eux, modifiant et adaptant les anciennes cavités à leurs besoins. D’autres, incapables de creuser ou de rogner, comme les hirondelles bicolores, les troglodytes et les merlebleus, s’installent simplement, apportant quelques éléments supplémentaires, des morceaux de mousse, des brindilles — les petites choses qui font d’une maison une maison, d’un trou un nid. La concurrence peut être intense : protégées des éléments et facilement défendues, les grandes cavités sont extrêmement attrayantes, et pas seulement pour les oiseaux.

Ces cavités sont essentielles à la survie des écureuils arboricoles (naturellement), ainsi que des porcs-épics, des ratons laveurs et d’autres mammifères communs dans votre ville. Ceux qui le peuvent rongeront le bois ramolli pour l’adapter à leurs besoins, mais les dents pointues de nombreux mammifères prédateurs les en empêchent et ils doivent s’installer dans n’importe quelle cavité appropriée qu’ils peuvent trouver. Dans les bois, la tâche est simple : les arbres creux abondent, tout comme les innombrables chicots. Comme l’a révélé une étude, les cavités dans les forêts canadiennes durent en moyenne 14 ans. Mais dans de nombreuses villes canadiennes, les animaux sauvages locaux ont de la chance si les cavités sont encore disponibles après 14 semaines.

C’est la crise du logement de la faune urbaine : un seul arbre creux laissé sur pied est comme un complexe d’appartements à plusieurs étages pour un mélange résidentiel diversifié, offrant des années de logement sûr et biologiquement « abordable » aux plus vulnérables. Et les villes les démolissent. Qui plus est, selon une étude de l’Université de la Colombie-Britannique, les pics sont responsables de 99 % des cavités creusées au Canada, et pourtant ces bâtisseurs en puissance sont en déclin. La plupart des villes canadiennes disposent d’un budget important pour l’entretien des parcs et des forêts et ont pour mandat de planter toujours plus d’arbres. À une époque où la conservation de la biodiversité est une réponse cruciale à la crise climatique, les forestiers municipaux — et leurs collègues du contentieux, peu enclins à prendre des risques — peuvent-ils trouver un moyen de maintenir sur pied des arbres morts mais extrêmement vivants? Sinon, il faudra trouver un moyen de remplacer les habitats essentiels qu’ils détruisent.

Tiré du magazine Biosphère. Pour découvrir le magazine, cliquez ici. Pour vous abonner à la version imprimée ou numérique ou bien acheter le dernier numéro, cliquez ici.