On réfère parfois à la forêt boréale comme à la « forêt laide ».

L’antithèse froide, aux feuilles en aiguilles, de l’exubérance fiévreuse des forêts pluviales tropicales. Il arrive aussi qu’on l’ignore, tout simplement. Aujourd’hui, cette vaste frange semi-circulaire ornant le sommet du globe fait l’objet d’études intenses à mesure que les climatologues évaluent son rôle dans la régulation de l’atmosphère terrestre.

Et ce rôle évolue. Comment? Un article récent du magazine Science observe que la forêt boréale se transforme avec une vitesse et une amplitude « sans précédent », annonçant une « menace substantielle » pour son avenir.

Nous devrions nous en inquiéter.

Elle couvre environ 1/10 des terres émergées de la planète.

Comme d’autres grandes forêts de la planète, l’écosystème boréal joue un rôle critique dans la manière dont respire la planète au travers du processus de photosynthèse. Par extension, il détermine aussi la composition de l’atmosphère, caractérisée aujourd’hui par des concentrations d’oxygène de 21 % et de CO2 d’environ 0,04 %.

La forêt boréale a un impact énorme sur ces valeurs à cause de son envergure. Elle couvre environ 1/10 des terres émergées de la planète — dont près de 3 millions de km2 au Canada —, ce qui en fait une gigantesque éponge à carbone. Son impact est tellement important que les niveaux globaux de dioxyde de carbone, un des principaux gaz à effet de serre, diminuent légèrement au printemps et en été, pendant la croissance des arbres, pendant que les taux d’oxygène augmentent aussi de leur côté.

La forêt boréale est aussi froide, de sorte que, quand les arbres meurent, ils se décomposent lentement, maintenant le carbone captif dans leurs tissus plus longtemps que les arbres morts des forêts tropicales, qui pourrissent rapidement et relâchent d’importantes quantités de CO2. L’atmosphère froide est aussi ce qui maintient gelé le pergélisol, qui emprisonne dans le sol d’importantes quantités de méthane, un important gaz à effet de serre. De même, la forêt boréale est aussi parsemée de marais et de tourbières, qui partagent cette capacité d’absorber le carbone.

Dans l’atmosphère d’aujourd’hui, le carbone tient l’un des rôles principaux.

Son volume peut sembler négligeable, mais son activité est prépondérante. Au cours des 250 dernières années, ses concentrations ont augmenté d’environ 43 %. C’est une augmentation massive dans une courte période de temps, provoquée avant tout par deux activités humaines : la consommation des combustibles fossiles, qui relâche dans l’atmosphère du carbone capté par la végétation il y a plusieurs millions d’années et enfoui sous terre, et la mise en exploitation des forêts et des prairies à des fins agricoles. À mesure que la proportion de carbone augmente dans l’atmosphère, celle-ci accumule toujours davantage de chaleur, provoquant un réchauffement global qui modifie les modèles climatiques et les cycles de l’eau.

Mais le point le plus intéressant, c’est que la forêt boréale absorbe plus de carbone qu’elle n’en émet. En d’autres mots, sa croissance l’emporte sur sa décomposition, ce qui en fait un puits de carbone, une fonction qu’elle remplit mieux que la forêt tropicale. Cela signifie que la forêt boréale compense pour une certaine proportion des gaz carbonés émis dans l’atmosphère par les humains.

Le revers de la médaille, c’est qu’à mesure que le climat change, la capacité de la forêt boréale d’absorber le carbone diminue. En fait, il est possible que dans l’Ouest canadien et en Sibérie, la forêt boréale émette déjà plus de carbone qu’elle n’en absorbe, un phénomène qui, dans la perception de Werner Kurz, chercheur au Service canadien des forêts, a tendance à empirer.

Comment?

On pourrait s’attendre qu’avec un climat plus chaud la forêt absorbe davantage de carbone à cause d’une croissance accélérée, mais pour contrecarrer cette croissance, on constate d’autres effets qui relâchent du carbone. Le premier de ceux-ci est l’invasion de dendroctones du pin ponderosa, des coléoptères qui tuent les pins de Murray et les pins gris, et qui se propage vers l’est à partir de la Colombie-Britannique.

La sécheresse et les températures plus élevées tuent aussi des arbres et mettent la table pour davantage de feux de forêt comme celui qui a commencé en mai et a forcé l’évacuation de près de 90 000 personnes de Fort McMurray, en Alberta.

D’ici 2100, les températures moyennes annuelles dans l’ensemble de la forêt boréale auront augmenté de 4 à 11 degrés Celsius, plus que dans tout autre système forestier. Une partie de la forêt boréale pourrait être transformée en savane. Concurremment avec ce phénomène, le pergélisol fondra et les tourbières s’assécheront, relâchant davantage de carbone dans l’atmosphère. Comme le soulignent Kurz et d’autres, ces facteurs se combinent et s’additionnent, dans une forme de cercle vicieux.

Les biologistes des forêts du monde parlent déjà de gérer des portions de la forêt boréale pour y stocker un maximum de carbone. C’est un choix différent de celui de préserver la diversité des créatures, et cela suppose de favoriser certaines espèces d’arbres afin de récolter du bois d’œuvre. C’est ce qui se produit déjà dans certaines régions d’Europe.

C’est un peu comme si on conservait la forêt boréale comme une arme secrète dans la lutte contre les changements climatiques, mais, comme le rappellent tous les scientifiques, si nous ne parvenons pas à diminuer les apports de carbone dans l’atmosphère, même cela sera insuffisant pour garder la « forêt laide » vigoureuse et la planète en santé.

Tiré du magazine Biosphère. Pour découvrir le magazine, cliquez ici. Pour vous abonner à la version imprimée ou numérique ou bien acheter le dernier numéro, cliquez ici.