Pour les oiseaux européens, la cueillette mécanisée des olives est une menace sérieuse. Ils en meurent par milliers

La prochaine fois que vous ouvrirez un pot d’olives pour votre martini ou pour un plateau d’amuse-gueules, peut-être voudrez-vous accorder une pensée au sort horrible qui est fait à certains oiseaux — arrachés à leur perchoir par un gigantesque aspirateur puis vendus à des hôtels pour être rôtis ou frits et mangés comme tapas.

Selon une étude récente publiée en mai dernier dans la prestigieuse revue Nature par Luis da Silva et Vanessa Mata du Centre portugais de recherche sur la biodiversité et les ressources génétiques, plus de 2 millions d’oiseaux sont aspirés dans les oliviers chaque année en Espagne et au Portugal. La récolte des olives a lieu d’octobre à janvier, ce qui correspond à la saison de migration des oiseaux chanteurs à la recherche d’un climat chaud pour passer l’hiver. Les oiseaux se perchent dans les arbres pour la nuit, et c’est précisément à ce moment que l’on récolte les olives. Il semble qu’elles ont meilleur goût quand elles sont récoltées la nuit parce que la fraîcheur permet de mieux retenir les composés aromatiques.

Les récolteuses mécaniques, plus hautes que les arbres et équipées de puissants projecteurs et de peignes vibrants, ratissent les rangées d’oliviers, engouffrant chaque arbre et le secouant violemment pour détacher les fruits et les faire tomber dans de puissants aspirateurs. Aveuglés et assommés par les projecteurs, les oiseaux endormis sont littéralement aspirés de leur perchoir avec les olives.

On parle ici de fauvettes, de grives, de bergeronnettes, de pinsons et de merles, dont au moins une demi-douzaine d’espèces déjà en déclin pour d’autres raisons. Les exploitants des récolteuses vendent ensuite les oiseaux morts à des hôtels ruraux locaux pour consommation humaine. Dans une région du Portugal seulement, une demi-douzaine d’oiseaux sont ainsi récoltés chaque nuit par hectare d’oliveraie, ce qui occasionne une perte totale de 96 000 oiseaux par année. On estime qu’en Espagne, 2,6 millions d’oiseaux sont aspirés annuellement.

Les oiseaux européens n’ont pas besoin de cette source supplémentaire de mortalité. Effectivement, les populations d’oiseaux ruraux dans cette région du monde ont diminué de 55 % au cours des trois dernières décennies, et l’opinion est partagée parmi la communauté de la conservation des oiseaux que les pratiques agricoles modernes sont tout autant à blâmer que la chasse illégale dans les pays méditerranéens comme Malte. Et cela ne concerne pas seulement les oiseaux européens. Des millions d’oiseaux migrateurs du Royaume-Uni traversent aussi ces pays en direction de leurs terrains d’hivernage en Afrique du Nord. Qui sait combien d’entre eux passent la nuit dans ces oliveraies… pour ne pas poursuivre leur migration le lendemain matin?

Est-ce que quelqu’un s’en préoccupe? Au Portugal, les responsables de la conservation veulent passer une autre année à compter les oiseaux morts avant de prendre une décision quant à l’interdiction des cueillettes nocturnes. En Espagne, le gouvernement régional d’Andalousie a demandé qu’on mette fin à la pratique et que les fermiers cessent de vendre les oiseaux morts aux restaurants, mais cela doit encore être traduit dans une législation. Et que se passe-t-il dans les autres grands pays producteurs d’olives, comme la France et l’Italie? Malheureusement, il ne semble pas y avoir beaucoup de volonté d’intervenir sur cette pratique en ce moment. Mais si nous, Nord-Américains, décidons de cesser de manger leurs olives récoltées la nuit « sans égard aux oiseaux », et par là faisons mal à leurs revenus, nous attirerons peut-être leur attention. Pour les dauphins menacés par la pêche au thon, cela a tout changé.

Tiré du magazine Biosphère. Pour découvrir le magazine, cliquez ici. Pour vous abonner à la version imprimée ou numérique ou bien acheter le dernier numéro, cliquez ici.