Cet article a été extrait de Say Magazine, numéro 110, avec la permission de l’auteur.
Un projet de collaboration de quatre ans dirigé par la Fédération canadienne de la faune (FCF) a permis d’étudier le parcours des saumons qui migrent vers les terres traditionnelles du cours supérieur du Yukon.
Il y a des siècles, des milliers de saumons du Pacifique du fleuve Yukon étaient capturés par les peuples autochtones dans la région que nous appelons aujourd’hui Whitehorse. Maintenant, quelques centaines de saumons seulement effectuent chaque année la longue migration de 3 000 km vers Whitehorse, et presque tous les peuples autochtones des environs ont cessé de pêcher le saumon pour aider à reconstituer les stocks autrefois prolifiques.
« Nous devons faire du saumon une de nos priorités absolues et collaborer pour assurer le meilleur avenir possible à cette espèce », déclare Brandy Mayes, gestionnaire des opérations terrestres de la Première Nation Kwanlin Dün (PNKD). Comme beaucoup d’autres, elle se sent responsable de la survie du saumon.
Les migrations de saumon sont remarquablement uniques dans le règne animal. Les saumons naissent dans des cours d’eau douce, nagent jusqu’à l’océan, puis retournent à leur site de naissance pour frayer.
« On entend dire que les eaux étaient autrefois rouges de poissons, et que maintenant elles ne coulent presque plus. Le saumon est important pour notre culture depuis des milliers d’années, et il est important de s’assurer que le stock reste en bonne santé pour les milliers d’années à venir », raconte Cheyenne Bradley, responsable de l’intendance de la PNKD.
Si le saumon ne peut pas retourner au site de fécondation prévu, il ne peut souvent pas se reproduire ou contribuer à la prochaine génération de saumons. La disparition du saumon d’un fleuve peut avoir des effets dévastateurs sur l’écosystème, sans parler des communautés locales qui ont un lien culturel fort avec cette ressource. Aujourd’hui, les populations de saumons sont en déclin, en grande partie parce que les saumons sont plus que jamais mis à l’épreuve pendant leur migration.
En 2016, Lloyd Lintott, ancien président de la FCF, et Tami Grantham, biologiste de la Première Nation de Carcross/Tagish (PNC/T), ont réuni la FCF et la PNC/T pour déterminer leurs intérêts mutuels de recherche sur le saumon du Pacifique afin de comprendre ce qui menace cette espèce. Plusieurs organismes locaux, dont la Première Nation de Carcross/Tagish, le conseil des Ta’an Kwäch’än, la Première Nation Kwanlin Dün, le ministre de Pêches et Océans Canada, la Yukon Fish and Game Association et la Société d’énergie du Yukon, ont défini ensemble les principales questions de recherche, notamment « Où vont les saumons après avoir franchi la centrale hydroélectrique? » et « Quelle est l’efficacité de la passe migratoire des rapides de Whitehorse? ». La centrale hydroélectrique de Whitehorse a été construite en 1958 et constituerait un obstacle absolu au déplacement des saumons si ce n’était de la passe migratoire des rapides de Whitehorse, un passage en bois qui permet aux saumons de contourner le barrage et de rejoindre le site de fécondation en amont. La réponse à ces questions pourrait permettre de définir des actions et des stratégies de rétablissement pour la population locale.
Au cours des quatre années suivantes, la FCF et la PNC/T ont collaboré avec divers organismes partenaires pour surveiller les déplacements du saumon du Pacifique dans les territoires traditionnels des quatre Premières Nations locales, soit la Première Nation de Carcross/Tagish, la Première Nation de Kwanlin Dün, le conseil des Ta’an Kwäch’än et les Premières Nations de Champagne et d’Aishihik. Pour comprendre où les saumons se déplacent dans le fleuve, l’équipe du projet devait d’abord capturer les saumons et leur insérer un émetteur. Cela signifiait passer de longues journées sur le fleuve Yukon, à attendre patiemment que des saumons se prennent dans leurs filets. Sur une période de quatre ans, environ 550 heures de pose de filet ont été réalisées. Au total, plus de 40 personnes de plusieurs organismes ont passé du temps sur le terrain, la plupart d’entre elles étant issues de l’une des quatre Premières Nations locales.
Ce temps passé sur l’eau a été l’occasion d’apprendre les uns des autres sur les saumons, la science, la conservation, la culture et la gestion de l’environnement. Par exemple, Karlie Knight, l’ancienne coordonnatrice des ressources naturelles de la PNC/T, a parlé du projet à un aîné, et celui-ci lui a dit : « Si vous prenez les mesures d’un poisson après sa mort, assurez-vous de le remettre dans le fleuve avec la tête en amont, pour que son esprit puisse retourner chez lui. » De même, les bénévoles du projet ont appris la biologie des poissons, l’échantillonnage scientifique et la conservation.
Danny Cresswell de la PNC/T a expliqué ce que signifie être impliqué dans les projets de saumon sur le territoire. « Participer à ce type de projet n’est pas seulement un honneur, c’est aussi notre responsabilité de faire tout ce que nous pouvons pour aider le saumon à atteindre son site de fécondation. Chaque saumon compte. Les saumons font ce long voyage pour se reproduire et nourrir les gens tout le long du fleuve depuis des milliers d’années. Aujourd’hui, les gouvernements, les industries, les organisations non gouvernementales et les personnes concernées du monde entier doivent collaborer pour aider à préserver cette ressource précieuse et irremplaçable qui nous profite à nous et à l’ensemble de l’écosystème. Collaborons maintenant pour le futur des poissons. »
Alors, quelles ont été les découvertes de l’équipe du projet après quatre ans d’étude? Il s’avère que de nombreux saumons s’approchent de la centrale hydroélectrique, mais ne franchissent pas la passe migratoire. C’est troublant, car chaque saumon est important lorsque la population est si petite. D’autre part, le projet a également révélé que les saumons qui utilisent la passe migratoire réussissent en grande partie à atteindre les sites de fécondation, et qu’ils ont tendance à utiliser quelques grands habitats en amont. Ces habitats pourraient être des candidats pour de futurs travaux de restauration, de surveillance et de protection des habitats. Bien que l’on ne sache pas exactement pourquoi les saumons ne dépassent pas la centrale hydroélectrique, les gouvernements des Premières Nations croient que des changements positifs peuvent être apportés à la passe migratoire pour aider les saumons à réussir leur migration. Ils plaident actuellement pour que des changements soient apportés à la passe migratoire afin d’améliorer les conditions de migration dans le futur.
« Il est évident qu’il reste beaucoup à faire avant que le saumon ne retrouve son abondance autrefois emblématique, déclare Nicolas Lapointe, l’un des biologistes travaillant sur ce projet, mais nous avons confiance dans le solide leadership autochtone qui sera à l’avant-garde des efforts de rétablissement du saumon et des processus décisionnels sur le cours supérieur du Yukon. »
Pour venir en aide au saumon sauvage et aux espèces aquatiques en péril du Canada, la FCF travaille actuellement à la création d’une base de données nationale sur les barrières et autres projets de passes migratoires.