Le porc-épic est un sujet qui s’accroche alors que nous en avons beaucoup à apprendre de l’étude de ses piquants.

Quand est venu le temps de nous choisir un animal emblématique, le castor l’a évidemment emporté sur le porcépic. Oui, le commerce de la fourrure a été bâti sur le castor et oui, l’espèce est d’une immense valeur écologique et non, on ne peut pas en dire autant du porc-épic. Mais le porc-épic possède un des systèmes de défense les plus technologiquement avancés du monde naturel, et cela aurait dû compter pour quelque chose.

porcupine crossing road © Donna Dolby

Les porcs-épics sont les troisièmes plus gros rongeurs du monde, après les castors et les capybaras. Il existe des espèces disséminées partout dans le monde, mais les diverses sous-espèces nord-américaines sont caractérisées par leurs piquants à barbillons, au nombre d’environ 30 000. Vous vous attendriez à ce que les barbillons rendent les piquants très difficiles à arracher, et vous avez raison : quand vous tirez sur un piquant pour l’arracher de votre peau (ou du museau de votre chien), les barbillons, qui sont au départ couchés contre la tige, s’ouvrent et s’étalent perpendiculairement dans la chair, s’élargissant comme un parapluie. Plus vous tirez, plus ils s’ouvrent, rendant le piquant plus gros que le trou qu’il a d’abord percé en pénétrant. Si l’impact d’un museau truffé de piquants est déjà dévastateur, les piquants ne s’arrêtent pas là. Une fois accrochés dans la peau ou les muscles d’un attaquant, ils continuent à pénétrer et on en a retrouvé dans tous les organes des divers prédateurs des porcs-épics : paroi de l’estomac, foie, poumons et reins. Ces piquants apparaissent comme le mécanisme de défense parfait, mais ce sont les détails qui fascinent.

D’abord, comment un porc-épic peut-il se dégager d’un ennemi qu’il vient de couvrir de piquants, si la structure des barbillons empêche l’extraction des piquants? Après tout, les piquants sont aussi fixés au porc-épic. C’est un vrai problème parce que, si un nombre important de piquants sont encastrés dans un ennemi, la force nécessaire pour permettre au porc-épic de s’arracher peut excéder le poids du rongeur. Mais l’évolution, qui a certainement sacrifié beaucoup de porcs-épics dans cette mise au point, a une solution. Quand l’animal frappe sa cible, l’impact initial repousse le piquant plus profondément dans la chair du porc-épic, ce qui brise l’attache qui le retient. La séparation s’en trouve facilitée.

Mais encore plus surprenant : les barbillons sur le piquant en facilitent aussi la pénétration dans la chair de l’animal. Cela semble étrange puisque, quand le piquant pénètre, les barbillons devraient être pressés contre la tige du piquant. Il n’est pas évident de savoir pourquoi cette configuration favorise la pénétration, mais les données expérimentales sont sans ambigüité. Une équipe menée par Jeffrey Karp à la Faculté de médecine de Harvard et à l’Institut de technologie du Massachusetts (MIT) a comparé les performances des piquants de porc-épic avec celles d’aiguilles hypodermiques, des piquants dont les barbillons ont été sablés, des piquants de porcs-épics africains (qui n’ont pas de barbillons) et même des piquants artificiels fabriqués en polyuréthane. En mesurant avec précision la force de pénétration nécessaire pour chacun des types de piquants, on a conclu que ce sont les piquants pourvus de barbillons qui pénètrent le plus facilement, mieux même qu’une aiguille hypodermique de calibre 18. On explique cette pénétration par le fait que les piquants avec barbillons endommagent moins les tissus en pénétrant.

Porcupine

Le secret tient dans la distribution de l’effort de pénétration de la chair. L’équipe considère que, puisque la pression est concentrée autour des barbillons, il n’est plus nécessaire de déchirer un cercle de chair entier, tout comme une lame de couteau bien aiguisée coupe mieux qu’une lame émoussée. Les résultats sont évidents dans des macrophotographies des surfaces coupées : les piquants avec barbillons produisent une coupe plus lisse en déchirant moins les chairs.

L’équipe de Karp a un objectif de l’ordre du biomimétisme : elle travaille à l’amélioration d’une aiguille hypodermique qui pénétrerait avec la facilité d’un piquant pourvu de barbillons (et sans la difficulté de le retirer). Elle pense aussi à un « pansement biomimétique », une surface qui resterait en place par-dessus les tissus pendant leur guérison. Dans ce cas, on rechercherait les deux attributs des piquants avec barbillons, en particulier leur résistance à l’arrachement.

Concurremment se posent des questions biologiques, comme celle de savoir pourquoi le porc-épic nordaméricain possède des piquants avec barbillons alors que son cousin africain n’en a pas. Les principaux prédateurs du porc-épic africain sont assez formidables, dont des lions, des hyènes et de grands oiseaux de proie. Existe-t-il quelque chose de différent ou de plus intense chez nos rongeurs locaux qui aurait stimulé l’apparition des piquants à barbillons? En fait, même s’il semble qu’ils pourraient s’avérer plus efficaces que les piquants sans barbillons, il demeure que plusieurs prédateurs des porcs-épics en Amérique du nord parviennent à leurs fins, en particulier les pékans (voir page 9). Les piquants à barbillons sont un répulsif sophistiqué, mais pas complètement efficace.

 

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