Un examen scientifique gouvernemental partial réautorise l’utilisation des néonicotinoïdes
Maintenant que les sols se réchauffent partout au Canada, les producteurs alimentaires s’apprêtent à semer leurs cultures. Mais en ce printemps semblable à bien des autres, il y aurait dû y avoir une différence.
En 2018, trois pesticides néonicotinoïdes qui ont été interdits dans les pays européens (imidiclopride, clothianidine et thiaméthoxame) devaient être éliminés progressivement, comme le proposait l’Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire (ARLA) de Santé Canada. Au Canada, l’ARLA a l’importante responsabilité de s’assurer que les pesticides utilisés ne présentent qu’un risque minimal pour la santé humaine et l’environnement. Son mandat consiste à effectuer des « évaluations scientifiques rigoureuses » pour s’assurer que tous les risques sont acceptables.
Les néonicotinoïdes sont la catégorie d’insecticides la plus utilisée au monde. Ils sont connus pour leur haut degré élevé de toxicité et leur persistance dans l’environnement. Les résidus des néonicotinoïdes s’accumulent dans l’ensemble de la plante – même le nectar et le pollen – quelle que soit leur méthode d’application. Ces produits chimiques peuvent persister longtemps dans le sol. Dans son examen de l’imidaclopride effectué en 2001, l’ARLA a déclaré que l’imidaclopride était persistant, avec une demi-vie (temps nécessaire à la décomposition de la moitié du produit chimique) dans le sol de 1 à 2 ans. La clothianidine est considérée comme ayant une durée de vie un peu plus de deux fois plus longue que l’imidaclopride; il en va de même pour le thiaméthoxame, étant donné qu’il se décompose d’abord en clothianidine. Ces néonicotinoïdes sont également très solubles dans l’eau et susceptibles de contaminer les eaux souterraines et de surface. Les néonicotinoïdes sont principalement utilisés pour tuer les insectes nuisibles sur les cultures, mais ils peuvent également être mortellement toxiques pour les pollinisateurs, les oiseaux et les organismes aquatiques et avoir des effets négatifs sur d’autres animaux sauvages insectivores comme les chauves-souris.
L’ARLA a entrepris il y a dix ans la réévaluation de l’imidiclopride, de la clothianidine et du thiaméthoxame. En 2016 (pour l’imidiclopride) et 2018 (pour la clothianidine et le thiaméthoxame), l’ARLA avait passé en revue des centaines d’articles scientifiques publiés, dont certains étaient fondés sur des études canadiennes. L’évaluation environnementale a conclu, à juste titre, que ces néonicotinoïdes présentaient des risques environnementaux importants, notamment dans les milieux aquatiques. Les risques ont été jugés inacceptables. En 2018, l’ARLA a recommandé que TOUTES les utilisations agricoles, ornementales et en serre soient annulées et éliminées progressivement sur une période de trois à cinq ans.
Cette décision, qui était appropriée et correcte compte tenu du poids global de preuves émanant de plus de 1300 articles scientifiques évalués par des pairs qui traitent de l’impact environnemental de ces produits chimiques, aurait dû être définitive.
C’est pourquoi, au printemps 2021, nous avons été choqués lorsque Santé Canada a fait volte-face. Soudain, ces pesticides qui étaient si dangereux pour la vie aquatique qu’il était impératif de cesser leur utilisation, ont été jugés « largement acceptables avec quelques mesures d’atténuation ». L’ARLA a examiné de nouvelles données de surveillance sur les concentrations de néonicotinoïdes dans les terres humides des prairies qui montrent que ceux-ci ne dépassent finalement pas les niveaux sécuritaires. De nouvelles données scientifiques évaluées par des pairs étaient-elles susceptibles d’expliquer ces différences de résultats? Pas exactement.
L’industrie des produits chimiques agricoles a fourni à l’ARLA des données supplémentaires sur les niveaux de contamination dans les Prairies, et ces données ont été utilisées par le gouvernement fédéral pour justifier le renversement de sa décision. Bien que ce ne soit pas en soi une mauvaise chose, ces données sont désormais considérées comme étant la propriété du gouvernement. Tout scientifique indépendant souhaitant examiner ces données, pour savoir où elles ont été collectées, si elles ont été collectées dans des champs pulvérisés avec ces pesticides, à quelle fréquence elles ont été échantillonnées, n’est pas autorisé à le faire de manière rigoureuse. En fondant ses nouveaux niveaux de toxicité sur quelques études menées sur des étangs, l’ARLA a limité le nombre d’organismes pris en compte et fondé sa nouvelle évaluation sur des études à faible capacité de démontrer les effets des néonicotinoïdes. Cette approche implique également le rejet de la plupart des rapports scientifiques générés par des chercheurs indépendants, qui ont conduit à la recommandation d’élimination progressive des néonicotinoïdes. Les régulateurs européens ont reconnu l’existence de ce parti pris dans le cadre d’études portant sur des étangs et ont appliqué des coefficients de sécurité aux résultats.
Les limites imposées par le gouvernement du Canada en ce qui a trait à l’accès aux données toxicologiques sont obscures. Quiconque souhaite consulter les sources utilisées par l’ARLA dans le cadre d’une décision réglementaire peut le faire, à Ottawa, dans une « salle de lecture », sans ordinateur. Vous avez ensuite 30 jours pour parcourir des piles de rapports, qui totalisent souvent des milliers de pages, et consigner ce qui vous paraît pertinent à l’aide d’un crayon et d’une feuille de papier. Évidemment, cette tâche s’avère difficile pour toute personne extérieure à la province et de surcroît en cours de pandémie. C’est pourquoi l’ARLA a mis au point une alternative à la salle de lecture sous forme de formulaire Pdf crypté et non consultable qui rend impossibles la recherche et l’examen appropriés des données.
L’ARLA considère que les études toxicologiques et apparemment aussi les études d’échantillonnage de l’eau sont la propriété exclusive des entreprises chimiques qui homologuent les pesticides. Nous désapprouvons cette approche, tout comme évidemment l’Environmental Protection Agency, l’équivalent américain de l’ARLA. L’Environmental Protection Agency ne considère pas les données toxicologiques ni les données d’échantillonnage de l’eau comme étant exclusives, ce qui permet à de tierces parties de passer en revue les éléments scientifiques et de contrôle des évaluations des pesticides.
L’utilisation des produits agrochimiques a considérablement augmenté au Canada depuis 1981. Les préoccupations relatives à la qualité de l’eau, à la santé des pollinisateurs et à la biodiversité des paysages agricoles s’intensifient. La décision de l’ARLA de Santé Canada de continuer à autoriser les producteurs à utiliser des pesticides néonicotinoïdes à des niveaux dangereux entraînera une contamination supplémentaire des sols et des milieux humides et aura des répercussions importantes sur les espèces sauvages, notamment les pollinisateurs, les invertébrés aquatiques, les oiseaux et les chauves-souris. Ce qui est d’autant plus flagrant, c’est que la majeure partie des néonicotinoïdes sont utilisés de manière prophylactique et n’ont donc aucune utilité sur l’essentiel des zones sur lesquels ils sont appliqués. Une utilisation prophylactique signifie que les pesticides sont appliqués systématiquement, qu’il y ait ou non présence de ravageurs dans les cultures, car une grande partie des néonicotinoïdes sont appliqués par le biais de semences prétraitées. Bien que ce modèle commercial puisse être idéal pour l’industrie des pesticides, ces pratiques encouragent une importante surutilisation des néonicotinoïdes, avec pour conséquence des dommages environnementaux. Malgré des preuves scientifiques accablantes soutenant l’élimination progressive de ces produits chimiques, le renversement de la décision de l’ARLA est lié au lobbyisme de l’industrie des pesticides, dans le cadre d’un processus qui empêche l’examen et l’objection de parties externes. Le travail de l’ARLA doit s’effectuer dans le cadre d’un processus entièrement transparent et responsable. Il est inexcusable que la santé des Canadiens et l’environnement soient exposés aux partis pris et à l’utilisation abusive de la science.
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1 comment
Merci de faire état de cette situation. L’approche de Santé Canada est très décevante et les barrières auxquelles les organismes et la population canadienne sont confrontés pour pouvoir investiguer sont non seulement frustrantes, elles semblent volontairement faites pour dissuader toute revue externe qui pourrait en fait apporter un éclairage nouveau.
L’impartialité dont doit faire preuve la fonction publique fédérale me semble grandement compromise ici. Et c’est la population (que le gouvernement et la fonction publique sont responsables de servir) qui vont en payer le prix. Quel dommage.