Alors que les enfants retournent en classe, favoriser l’enseignement en plein air pourrait-il constituer une stratégie efficace à l’ère de la COVID-19?
Au cours des dernières décennies, fournir à nos enfants davantage d’occasions de découvrir la nature de première main est passé d’un souhait farfelu et hors des sentiers battus à un précepte fondamental dans les programmes de nombreuses écoles primaires. Lorsque Richard Louv a publié Last Child in the Woods : Saving Our Children from Nature-Deficit Disorder (Le dernier enfant dans les bois : épargner à nos enfants la maladie du déficit de nature, notre traduction; le livre n’est toujours pas disponible en français) en 2005, il a apporté une perspective scientifique à une notion peu développée et naïve sur les bienfaits de la présence des enfants dans la nature. Ce livre a encouragé le mouvement « No Child Left Inside » (On n’abandonne aucun enfant à l’intérieur, notre traduction) et a galvanisé les gens dans le monde entier.
Certes, Louv n’a pas été le premier à s’intéresser à l’apprentissage dans et à partir de la nature (même Thoreau n’était pas le premier; pensez plutôt à la Grèce classique et, plus près de nous, aux modes d’enseignement traditionnels des peuples autochtones), mais son timing était excellent. À l’époque, les parents, les enseignants, les médecins et les psychologues avaient commencé à exprimer leurs inquiétudes face à l’avènement de l’ère numérique et aux « loisirs » passifs et abrutissants des enfants pendant d’incalculables heures passées devant l’écran.
La situation a pris un virage extrême avec la COVID-19 : les écoles ont été fermées, les centres de loisirs verrouillés, les terrains de jeux et les gymnases déclarés hors limites. On estime que 90 % des élèves du monde entier ont été soudainement privés de cours, soit plus de 1,5 milliard d’enfants.
Aujourd’hui, plusieurs mois après le début de la pandémie, les élèves du primaire au Canada ont commencé à retourner à l’école. Mais certainement pas à la routine scolaire qu’ils ont quittée à la fin de l’hiver. Aujourd’hui, dans un climat d’incertitude et d’anxiété à l’idée d’être regroupés à l’intérieur, de nombreux élèves ont peu de temps à passer avec les autres enfants, une fréquentation scolaire intermittente et des activités réduites. Ces contraintes, ainsi que d’autres en classe, modifient fondamentalement leurs journées d’école et diminuent leurs possibilités d’apprentissage. C’est là que l’éducation en plein air pourrait tout changer. Diverses juridictions à travers le monde ont apporté des réponses innovantes à la COVID-19. Elles ont adopté l’idée que les activités de plein air constituent un moyen de garder les enfants en bonne santé et heureux — tout en les éduquant.
Le Danemark a été l’un des premiers pays à adopter ce système. À partir de la mi-avril, après un mois de confinement généralisé dans tous les secteurs de la société, la nation scandinave a rouvert ses écoles. Bien sûr, des mesures ont été prises pour réduire la surpopulation et échelonner les arrivées et les départs, et des mesures d’hygiène essentielles ont été mises en place. Mais un élément clé de leur réouverture en toute sécurité a été d’encourager les enseignants à développer des moyens d’enseigner en plein air, dans les cours d’école, les parcs et autres espaces publics, même les cimetières (existe-t-il un meilleur endroit pour enseigner l’histoire?). Selon les enseignants interrogés depuis la réouverture, les activités de plein air sont non seulement efficaces pour distancier les enfants, mais elles sont également populaires auprès des élèves et de leurs parents. Elles se sont également révélées être des lieux efficaces pour enseigner les sciences, l’arithmétique, les sciences naturelles, ainsi que la musique et la danse (toutes deux explicitement interdites à l’intérieur en raison des risques de contagion). L’extérieur est également propice à l’activité physique, avec des jeux sans danger pour les coronavirus, comme le jeu de tag à l’ombre sans contact, la marelle et les chasses au trésor dans la nature.
Au Canada, les commissions scolaires peuvent aujourd’hui s’appuyer sur leurs expériences à ce jour et sur un solide réseau d’éducation en plein air pour relever ce défi. De nombreuses ressources ont été développées par les différents niveaux de gouvernement et les OSBL. Le gouvernement fédéral a produit des « documents d’orientation » approfondis sur un large éventail de sujets, notamment les activités pour les enfants et les jeunes, et l’encadrement des éducateurs. Outdoor Play Canada, une organisation non-gouvernementale nationale et un réseau d’experts lancé en septembre 2019, propose un livre de jeux en nature téléchargeable, rempli de jeux et d’activités parfaits pour les jeunes enfants débordant d’énergie et de curiosité. (Il propose également de nombreuses autres ressources pour les parents, les enseignants et les gestionnaires.) L’initiative Enseigner dehors, proposée par l’Université du Québec à Montréal, propose une diversité impressionnante de bonnes idées pratiques. De nombreuses autres ressources sont facilement accessibles par une simple recherche en ligne.
Évidemment, au Canada, lorsqu’on parle d’éducation en plein air, la météo est toujours un facteur. Pour la plupart des enfants canadiens, l’hiver peut en effet s’avérer très froid. Mais comme le dit le proverbe, « il n’existe pas de mauvais temps, seulement du mauvais équipement ». Il faut donc que les enfants soient correctement habillés et équipés pour pouvoir profiter de l’enseignement en plein air tout au long de l’année. On veut essayer la peinture sur la neige? Pour que tout le monde puisse profiter de l’hiver, il faudrait financer la mise à disposition d’équipements pour le temps froid pour ceux dont les parents n’en ont pas les moyens. Un tel programme pourrait s’inspirer des programmes de petit-déjeuner et de déjeuner qui ont longtemps été si essentiels au bien-être des enfants dans tout le pays, ainsi que des initiatives de don d’équipements sportifs qui ont vu le jour dans de nombreuses villes. Les initiatives de collecte de fonds des parents et le soutien financier et en nature des entreprises locales et nationales pourraient facilement couvrir le coût des mitaines, des bottes, des cache-cous, des manteaux et des pantalons de neige dont tous les enfants ont besoin pour se tenir au chaud. Les avantages iraient bien au-delà de la protection contre la COVID-19. Les enfants adoreraient être à l’extérieur et, avec des plans de cours et des conseils appropriés, ils pourraient en apprendre énormément sur la nature, sur le changement climatique et même sur le passé et l’avenir du Canada.
Après des mois de confinement et de perturbations, nos enfants méritent — et ont besoin — de redevenir des apprenants actifs dans un environnement sûr et favorable. Tant que la propagation de la COVID-19 est une préoccupation, un enseignement authentique et épanouissant en plein air peut faire partie du chemin du retour à la normale et de la poursuite d’un amour durable du plein air.
Tiré du magazine Biosphère. Pour découvrir le magazine, cliquez ici. Pour vous abonner à la version imprimée ou numérique ou bien acheter le dernier numéro, cliquez ici.