Cet article d’opinion a été publié pour la première fois dans le numéro de Hill Times le 28 mars 2024.

Bien avant l’arrivée des colons européens sur les côtes de l’Atlantique et du Pacifique, les peuples autochtones géraient les ressources fauniques pour en assurer la diversité et l’abondance.

« L’abondance » n’est reconnue dans aucune législation en vigueur comme objectif de rétablissement et la plupart des efforts visant à protéger les espèces en péril consistent plutôt à tenter d’enrayer le déclin et de maintenir le statu quo.

En 2022, à Montréal, le Canada s’est engagé à enrayer et à inverser la perte des ressources naturelles d’ici 2030. Le gouvernement fédéral élabore actuellement une Stratégie nationale pour la biodiversité, prévue plus tard cette année, pour définir comment cet engagement peut être respecté.

Une telle stratégie est indispensable. Malgré les efforts de conservation entrepris partout au Canada, la biodiversité continue de décliner et le nombre d’espèces menacées d’extinction continue d’augmenter.

Les espèces en péril sont des indicateurs du niveau de gestion des milieux terrestres et aquatiques du Canada qui permettent de maintenir des écosystèmes sains. La perte des habitats (pensez aux boisés et aux zones humides convertis en ensembles résidentiels) et leur fragmentation (par les routes et les lignes sismiques qui perturbent les déplacements de la faune) sont les principaux facteurs de déclin de la faune.

Or la faune ne peut pas survivre ou se rétablir sans habitats adéquats. De nombreuses espèces en péril présentes au Canada vivent dans des habitats partagés, et des approches écosystémiques fondées sur les lieux peuvent soutenir leur rétablissement. Pour d’autres, nous devons réduire les menaces omniprésentes pour les habitats, qu’il s’agisse de la foresterie industrielle ou du changement climatique. La protection des habitats ne suffit pas à elle seule à faciliter la survie et le rétablissement des espèces : la plupart des espèces ont en effet perdu de nombreux habitats fonctionnels et nécessitent que nous déployions des efforts de restauration pour revenir à des niveaux de populations stables.

À l’exception des études d’impact fédérales, les processus de planification et de décision qui régissent les activités se déroulant dans les habitats des espèces sauvages relèvent de la compétence provinciale. Cela ne dispense cependant pas le gouvernement fédéral de sa responsabilité : il a un rôle de chef de file à jouer.

En tant qu’organisations de conservation travaillant depuis longtemps au rétablissement des espèces en péril, nous exhortons le gouvernement fédéral à donner la priorité à ces trois actions liées dans le cadre de la Stratégie nationale pour la biodiversité. 

  1. Amélioration de la mise en œuvre de la Loi sur les espèces en péril (LEP) fédérale

Les habitats dont les espèces ont besoin pour survivre et se rétablir sont appelés « habitats essentiels ». Pour que ces habitats essentiels puissent être maintenus et restaurés, ils doivent d’abord être définis, sur la base des meilleures connaissances scientifiques et traditionnelles disponibles. À ce jour, la désignation des habitats considérés comme essentiels s’est contentée, au mieux, d’être ponctuelle, et la protection qui en a résulté a été catastrophique. Il est ainsi essentiel que ces habitats soient mieux définis et cartographiés. Il s’agit de la première étape à franchir pour déterminer les lieux de coexistence d’espèces en péril, permettant de soutenir des approches écosystémiques et des mesures de rétablissement coordonnées.

Avant l’entrée en vigueur de la LEP, les provinces (à l’exception du Québec), les territoires et le gouvernement fédéral ont signé l’Accord pour la protection des espèces en péril. Les signataires de cet accord ont convenu de travailler ensemble pour protéger les habitats des espèces menacées ou en voie de disparition, mais rares sont ceux qui sont passés à l’acte. Au cours des dernières années, les provinces ont dénoncé les politiques et objectifs nationaux du gouvernement fédéral, les qualifiant « d’excès de compétence ». Ainsi, même si la LEP prévoit des outils discrétionnaires qui permettent au gouvernement fédéral de protéger les habitats essentiels lorsque les provinces échouent dans leurs tâches, le gouvernement fédéral hésite à y recourir et le fait rarement.

  1.    Exactitude des rapports

En plus de détenir des pouvoirs discrétionnaires en vertu de la LEP, Environnement et Changement climatique Canada dispose de nombreux outils de production de rapports qui pourraient être employés beaucoup plus efficacement pour exiger des provinces qu’elles rendent des comptes.

Par exemple, l’évaluation de la mesure selon laquelle les habitats essentiels connus sont protégés ou non doit être rapportée avec davantage de précision par le gouvernement fédéral dans son rapport semestriel. Ces mesures doivent également être suivies d’efforts plus collaboratifs pour faire progresser la protection des habitats.

  1. Développement d’une vision nationale de la protection et de la restauration des habitats

La conservation de la nature et le développement durable nécessitent des données spatiales claires au sujet des habitats les plus importants pour la faune du Canada. La cartographie et le partage de la gestion des habitats essentiels, des zones de restauration prioritaires et d’autres zones naturelles d’importance, notamment des zones clés pour la biodiversité, permettraient d’obtenir une vision nationale. L’industrie disposerait également de davantage de référence grâce à un outil national d’évaluation environnementale permettant de déterminer les zones à entretenir ou à restaurer.

Chacun de ces éléments doit être associé à des dispositifs novateurs de co-gouvernance et de financement afin de libérer le vaste potentiel de contribution des peuples autochtones en tant que chefs de file dans le domaine de la protection et de la restauration de la nature.

La conservation de la faune est un défi complexe, mais une chose est claire : les espèces sauvages ne peuvent survivre et se rétablir sans habitats sains.

Auteurs : Dan Kraus, Conservation de la nature Canada, James Pagé, FCF, Rachel Plotkin, Fondation David Suzuki, Liat Podolsky, Écojustice.

La FCF se joint à trois autres organisations de conservation pour demander au Canada de se concentrer sur les habitats des espèces en péril dans le cadre de la Stratégie nationale pour la biodiversité. Nous souhaitons que le gouvernement fédéral renforce la mise en œuvre de la Loi sur les espèces en péril, améliore la production de rapports relatifs aux habitats essentiels et leur protection subséquente, et développe un outil de cartographie des habitats essentiels et des zones qu’il est nécessaire de restaurer. James Pagé, spécialiste des espèces en péril et de la biodiversité à la FCF, a récemment participé à la rédaction d’un éditorial commun appelant à un plan d’action dans Hill Times.