Lorsqu’on parle d’espèces en voie de disparition, on cite souvent les chiffres.

Il est en effet important de souligner qu’il ne reste plus que quelque 400 baleines noires de l’Atlantique Nord, ce qui fait d’elle la grande baleine la plus menacée de la planète. Mais il vaut aussi la peine de connaître l’évolution biologique derrière les données pour mieux comprendre la faune et l’importance de la conserver.

Prenons Derecha, par exemple. Cette baleine noire de l’Atlantique Nord a été aperçue pour la première fois en 1993. En janvier 2020, elle a donné naissance à son quatrième baleineau. Malheureusement, quelques jours après sa naissance, il a été happé par un navire et sa mâchoire a été tranchée, rendant l’allaitement extrêmement difficile. Or, la baleine noire est un mammifère résilient qui peut parfois se remettre de telles blessures.

Derecha et son baleineau n’ont pas été revus depuis l’accident. Nous ne connaîtrons pas le sort du baleineau avant d’apercevoir de nouveau la mère. Il est très rare qu’une maman baleine laisse son petit. Donc, si Derecha est seule, on ne pourra que présumer que le baleineau n’a pas survécu. La FCF surveille de près l’évolution de Derecha (et d’autres baleines). Nous vous tiendrons informés.

Pour mieux comprendre les cycles biologiques individuels, notre équipe de biologie marine surveille les données relatives à dix mères et leur baleineau né en 2020, y compris les baleineaux nés antérieurement, les observations, les endroits où se trouvent ces duos et les mises à jour. La population de baleines croît lentement. Il est donc important de surveiller les mamans et leur petit pour mieux comprendre et conserver cette espèce menacée.

Comment recueillons-nous les données sur les mères et leur baleineau?

La FCF compile des données du catalogue sur la baleine noire de l’Atlantique Nord, exploité par la New England Aquarium. Cette base de données publique renferme des observations et des photos de toutes les baleines noires de l’Atlantique Nord identifiées. Au moyen de levés aériens et à partir de bateaux, les chercheurs tentent de trouver des baleines et leur baleineau dans leurs aires hivernales de mise bas près des États de la Floride et de la Géorgie aux États-Unis. À l’occasion, les chercheurs peuvent même savoir qu’une femelle est enceinte avant la saison de mise bas grâce à son apparence physique.

Lorsqu’on aperçoit un baleineau, il est important de le surveiller de près pendant plusieurs mois, car c’est après la naissance que commencent à apparaître les callosités (marques distinctes) qui permettront aux chercheurs d’identifier la baleine toute sa vie et de tenir des registres sur son arbre généalogique.

Pourquoi la croissance de la population de la baleine de l’Atlantique Nord se fait-elle si lentement?

L’évent en forme de V de la baleine de l’Atlantique Nord se profile contre le bleu de l’océan et du ciel. © Allan McDonald

La femelle de toutes les espèces est essentielle à la croissance des populations. La femelle baleine noire de l’Atlantique Nord porte son petit pendant un an, lui donne naissance, l’allaite et l’élève pendant une année ou deux avant de le sevrer complètement. Mais le baleineau restera à proximité de sa mère jusqu’à maturité sexuelle vers l’âge de 10 ans.

Malheureusement, la baleine noire de l’Atlantique Nord ne se reproduit pas à un rythme qui est durable pour sa population. Autrement dit, moins de baleines naissent que de baleines se font tuer. Une des raisons qui expliquent la faible croissance de population est le nombre disproportionné de mâles par rapport aux femelles. Des quelque 400 individus qui restent, il n’y a que 95 femelles. Une autre raison qui explique ce phénomène est la période grandissante entre les naissances. Une femelle en santé devrait donner naissance à tous les trois ou quatre ans. Mais cet intervalle est maintenant de six à dix ans.

Pourquoi les femelles sont-elles plus portées à mourir? Et pourquoi donnent-elles naissance moins souvent?

La femelle requiert de grandes réserves d’énergie durant la grossesse et l’accouchement – c’est-à-dire de grande quantité de nourriture. La baleine noire de l’Atlantique Nord ne se nourrit pas dans son aire d’hivernage. Elle doit donc manger suffisamment durant l’été pour survivre toute l’année. Récemment, le réchauffement croissant des eaux a forcé la proie principale de la baleine – les copépodes – à changer d’aire de répartition. Ainsi, il est plus difficile pour la baleine de trouver de la nourriture, et donc d’emmagasiner suffisamment de réserves d’énergie pour tomber enceinte et mettre bas.

Lorsqu’une femelle donne naissance, elle est plus à risque de mourir à la suite d’un empêtrement – la plus importante menace à la baleine de l’Atlantique Nord. L’empêtrement dans des engins de pêche est pénible et débilitant. Il empêche la baleine de bouger, se nourrir et se reproduire. Une femelle qui a récemment donné naissance n’aurait vraisemblablement pas assez d’énergie pour survivre au stress et à l’épuisement causés par un empêtrement.

Pourquoi surveiller les mères et leur baleineau?

Le suivi de générations de baleines noires de l’Atlantique Nord nous permet de mieux comprendre leur cycle biologique et d’en savoir plus sur la santé de la population et le nombre de nouveaux baleineaux qui naissent.

Ces données nous permettent aussi de connaître les endroits qu’aiment fréquenter les mamans. Nous avons récemment observé un changement d’habitat. La baleine noire de l’Atlantique Nord semble maintenant passer plus de temps dans le golfe du Saint-Laurent. En est-ce de même pour les mères? Si oui, le golfe du Saint-Laurent pourrait s’avérer une source de nourriture abondante pouvant fournir suffisamment d’énergie aux baleines pour se reproduire.

Ces données pourraient-elles contribuer à long terme à la protection légale de cet habitat essentiel à la baleine de l’Atlantique Nord? Seul le temps le dira. Entre-temps, la surveillance de cette espèce est un témoignage de l’évolution unique, inspirante et parfois déchirante derrière les statistiques sur la baleine noire de l’Atlantique Nord.

Apprenez-en plus sur notre travail auprès de la baleine noire de l’Atlantique Nord et  sur les côtes et les océans.