Pour moi, il y a certains sons emblématiques qui annoncent l’arrivée du printemps et que j’attends avec impatience chaque année.
Les premiers merles d’Amérique et carouges à épaulettes mâles arrivent généralement à la fin de l’hiver plutôt qu’au début du printemps. C’est toujours une joie d’écouter leurs chants. Chaque année, j’admire leur témérité qui les pousse à revenir avant les dernières chutes de neige. Les premières formations en V de bernaches du Canada cancanant dans le ciel me réjouissent l’esprit et j’ai hâte de voir les femelles allongées sur leurs nids sur une petite île de notre étang pendant que les mâles patrouillent à proximité.
L’arrivée d’une bécasse d’Amérique mâle dans mon pâturage est aussi un événement spécial. Je prends grand plaisir à me laisser guider par son chant nasillard et sifflant pendant qu’elle danse dans le ciel au crépuscule. Elle me détecte presque toujours et s’envole plus loin pour atterrir dans le pâturage et recommencer à nasiller. Et ce petit jeu se poursuit ainsi jusqu’à la tombée du jour.
Le premier pépiement de la rainette crucifère est un son qui annonce la fin de la saison du sirop d’érable. Dès que les rainettes commencent à chanter, la sève des érables cesse de couler. Peu de temps après la première rainette, survient un autre son très spécial : le « criiik… criiik » d’une rainette faux-grillon de l’ouest.
Certains le décrivent comme le son émis par des dents d’un peigne lorsque l’on passe le pouce dessus. La rainette faux-grillon de l’ouest est minuscule. Elle peut facilement tenir sur le dernier métatarse de votre pouce. Un corps minuscule, mais un son puissant.
Enquête sur les chanteurs
Chaque printemps, une équipe de trois membres du personnel de la Fédération canadienne de la faune (Dave Seburn, James Pagé et moi-même) étudie les étangs peuplés de rainettes faux-grillon de l’ouest de la région de la capitale nationale, au Québec et en Ontario. Il faut pour cela emprunter des routes de campagne jusqu’à chaque étang, s’arrêter et écouter le coassement des grenouilles.
Cette espèce préfère les étangs éphémères – ceux qui s’assèchent généralement pendant l’été. Un fossé, un lieu en contrebas dans le coin d’un champ de foin ou d’un pâturage, ou un étang boisé font l’affaire – tant qu’ils ne recèlent pas de prédateurs comme des poissons, mangeurs d’œufs de grenouilles.
Un son inhabituel
Étant donné qu’elles ne sont pas pointilleuses en matière d’esthétique de leurs sites de reproduction, on pourrait penser qu’elles sont très répandues. Ce n’est pas le cas. Cette espèce est classée comme menacée dans la région des Grands Lacs et du Saint-Laurent, en Ontario et au Québec.
La perte de son habitat – en raison du développement urbain et de l’intensification des pratiques agricoles – constitue la menace principale. Cette espèce est très compatible avec les pratiques d’agriculture extensive – à savoir les élevages de bœufs ou d’agneaux, ou la production laitière qui reposent sur la production de pâturages ou de foin. Elle n’est pas compatible avec les cultures en rangs annuelles, qui labourent ou altèrent généralement ces étangs éphémères avant que les têtards ne se transforment en grenouilles adultes.
Sérénadeuses d’arrière-cour
Cette année, à mon grand plaisir, les grenouilles sont venues chez moi!
Près de notre ferme de la région de Pontiac, au Québec, se trouve un petit étang ornemental. Il y a quelques semaines, isolée chez moi derrière mon ordinateur, j’ai entendu un grincement distinctif. J’ai sorti la tête par la fenêtre et j’ai entendu le son inimitable de la rainette faux-grillon de l’ouest, provenant de l’étang.
Depuis lors, les jours où la température dépasse cinq degrés Celsius – notamment au moment où j’écris ces lignes – cette grenouille chante.
En soirée, lorsque la chaleur est au rendez-vous, je m’avance lentement et prudemment, jumelles à la main, sur le côté de l’étang et je le scrute pour tenter d’apercevoir la grenouille. Je guette attentivement pour percevoir le mouvement de son sac vocal. Même lorsqu’elle chante si fort que cela me perce les oreilles, je n’arrive absolument pas à la distinguer. Cette grenouille appartient à une espèce cryptique.
En plus de la grenouille de l’étang ornemental, il y a deux autres rainettes faux-grillon de l’ouest qui chantent sur notre exploitation agricole. Je me sens privilégiée d’être en mesure d’offrir un refuge à cette espèce menacée.
Le doux orchestre du printemps est une joie.