Qu’arrive-t-il à la faune lorsque les villes et les villages s’étendent sur les habitats naturels dont elle a besoin pour survivre?
C’est une importante question sans réponse définitive – particulièrement à la lumière de l’accélération de l’étalement urbain et agricole au Canada qui consomme des habitats et déplace les animaux sauvages. Le développement urbain détruit des habitats et les fragmente en parcelles isolées de plus en plus petites, en plus de compromettre et même d’éliminer des voies migratoires traditionnelles et de mettre en péril les populations fauniques.
La façon dont les animaux s’adaptent à la perte de leurs habitats naturels et au contact accru avec les humains dans les régions urbaines est un domaine de recherche qui gagne en importance auprès des scientifiques et conservationnistes partout au Canada. Est-ce que l’urbanisation mène réellement à des changements dans le comportement des animaux ou est-ce que certaines espèces sont mieux adaptées pour apprendre et prospérer au fur et à mesure que changent leurs habitats?
« La faune a des limites quant à sa capacité d’adaptation à l’urbanisation, » explique Carolyn Callaghan, biologiste principale en conservation de la faune terrestre à la Fédération canadienne de la faune (FCF). Sa thèse de doctorat portait sur la biologie des loups de la populaire vallée Bow qui passe dans le parc national Banff. « La majorité des animaux ne s’adaptent pas bien. Ils meurent ou ils partent. Les espèces anthropophiles (celles qui sont à l’aise avec les humains) réussissent à s’en tirer, mais dans le grand ordre des choses, il y a relativement peu d’espèces qui arrivent à prospérer dans une situation de développement urbain intense. »
John Wilmshurst, Ph.D. et gestionnaire de la conservation des prairies indigènes de la FCF, est du même avis.
« La faune dans l’ensemble ne s’adapte pas bien à l’urbanisation, mais les effets diffèrent parmi les espèces, » affirme John. « L’Ouest canadien s’intéresse beaucoup à ce sujet étant donné l’augmentation des coyotes urbains à Edmonton et à Vancouver et des lynx roux à Calgary. Les coyotes urbains ont tendance à s’enhardir et à attaquer les animaux domestiques et les humains. Ils deviennent ainsi la cible d’initiatives de relocalisation ou de contrôle. Les lynx roux sont plus timides et chassent les abondantes populations de lièvres urbains. Ils sont donc moins dangereux pour les humains. »
Quels sont les principaux effets de l’urbanisation sur la faune selon John?
« La perte et la fragmentation des habitats, notamment le drainage des terres humides, les obstacles aux déplacements comme les clôtures et les routes et les conflits avec les humains, y compris avec leurs animaux domestiques, » explique-t-il. « Peu importe, les régions urbaines sont attirantes pour les animaux sauvages, car elles offrent de nombreuses occasions de trouver de la nourriture, et ce, autant pour les herbivores (pelouses, jardins, parcs, terrains de sport) que les omnivores et les carnivores (déchets, nourriture pour animaux domestiques, nourriture laissée intentionnellement). »
Deux des questions les plus intrigantes à ressortir des études sur l’urbanisation et la faune sont les suivantes : le comportement des animaux change-t-il réellement à cause de la perte d’habitats et du rapprochement avec les humains et quels sont les effets du changement climatique sur les environnements qu’ils habitent? Ces deux questions se penchent sur la façon dont la faune devra s’adapter aux environnements changeants.
« Il est parfois difficile de savoir ce qui arrive aux espèces qui sont touchées négativement. Souvent, elles finissent par disparaître. Les réponses sont plus claires lorsqu’il est question des animaux qui s’habituent aux milieux urbains, car on peut observer les changements, » dit John. « Mais c’est tout un défi d’observer la faune plus timide. Notre capacité de suivre les animaux au moyen du GPS nous aide à obtenir plus d’information sur la sensibilité des animaux face aux infrastructures urbaines comme les routes et les villes. Certains animaux, comme les loups, ne s’en tirent pas bien près des humains, car ils évitent les humains et les milieux urbanisés, mais se font aussi persécuter agressivement. Ils changent clairement leur comportement pour éviter les régions urbaines et les autoroutes. Nous en apprenons de plus en plus tous les jours. »
John explique que pour les animaux qui deviennent de plus en plus communs dans les zones urbaines, certains des changements de comportement les plus intéressants s’étendent sur plusieurs générations. Un individu hardi décide d’habiter dans une région urbaine et montre à sa progéniture comment trouver de la nourriture, une compagne ou un compagnon et des abris parmi les humains. Il y a certains oiseaux qui changent le ton de leur chant pour s’adapter aux paysages urbains. Le raton laveur est à l’aise avec l’humain et peut adapter son comportement aux milieux urbains. Le lynx roux profite de la noirceur nocturne pour chasser le lièvre qui, pour sa part, se nourrit de pelouse et de légumes dans les potagers urbains. La bernache aime aussi les régions urbaines où la nourriture (pelouse) est abondante. La gestion des espèces agressives, comme celles susmentionnées, est un énorme problème pour les municipalités qui doivent veiller à la sécurité de leurs résidents dans les parcs où l’on retrouve souvent des animaux sauvages. L’agression accrue des animaux pourrait en soi être un moyen d’adaptation à la vie urbaine.
Pour ce qui est de l’étude de la fragmentation des habitats et de ses effets sur la faune à l’échelle du Canada, John dit qu’il peut s’avérer très difficile de trouver des réponses.
Certains des effets négatifs de l’isolement de populations d’animaux sur des petites parcelles d’habitats peuvent être atténués par des mécanismes de gestion des paysages bien placés dans les régions sans habitats. Les clôtures, les passages inférieurs et supérieurs pour la faune sur les routes et la naturalisation des emprises peuvent avoir un effet positif pour la conservation des animaux.
« La fragmentation des habitats a très peu d’avantages. Les grands espaces intacts sont toujours préférables pour la faune. La fragmentation de grands espaces en plus petites parcelles, même si elles se rejoignent grâce à des corridors, est rarement facile pour les animaux et est difficile pour les humains à gérer. Mais si l’urbanisation ne laisse que des habitats fragmentés, comme des terres humides ou des forêts en milieu urbain, on doit réaliser les travaux nécessaires pour entretenir les corridors de déplacement afin de garantir des populations fauniques viables. »
Les animaux sauvages ne sont pas les seuls qui s’adaptent à des régions de plus en plus urbaines. De nombreuses personnes cultivent des jardins pour les pollinisateurs pour fournir de la nourriture aux papillons de nuit, aux abeilles et aux colibris. De nombreux propriétaires résidentiels abandonnent leur pelouse pour laisser place à une variété de végétaux. Des règlements municipaux sont adoptés pour garder les chats domestiques à l’intérieur et les codes du bâtiment changent pour réduire la collision des oiseaux avec les fenêtres de gratte-ciel. Nous sommes d’avis à la FCF que les populations humaines urbaines croissantes doivent maintenir un lien avec la nature. Une façon de le faire est de cohabiter avec la faune, même dans les villes les plus populeuses. Les politiques publiques qui aident les gens à vivre en harmonie avec la nature dans nos quartiers sont une étape positive dans l’amélioration de notre mode de vie urbain.