Et si nous pouvions tirer une leçon de survie de l’un des organismes les plus étranges de la Terre? Le lichen présent dans nos villes constitue une métaphore puissante de notre époque biologiquement perturbée. Quelqu’un souhaite-t-il une symbiose?
La cladonie mince se dresse droit dans les airs, les tiges vertes se terminant par un cramoisi luxuriant. Le lichen des caribous gris-vert fréquente le sable, tandis que les Dimelaena oreina se réfugient sur les pierres tombales.
Ce sont des espèces de lichen urbain. Et si l’idée de lichen urbain peut sonner comme un oxymore, il n’en est rien. En fait, les lichens font un retour en force dans les villes du monde entier après avoir été absents pendant près de 100 ans.
Prenons l’exemple des lichens de Paris. Au milieu du 19e siècle, le botaniste finlandais William Nylander a commencé à répertorier les espèces de lichens dans le Jardin du Luxembourg, le somptueux parc du centre de Paris. En 1866, il a publié un article qui en décrivait 32. En 1896, lorsqu’il a refait le recensement des lichens, tous avaient disparu. Le jardin était devenu un désert de lichens.
Nylander s’est demandé s’il ne s’agissait pas de la pollution atmosphérique qui recouvrait Paris, résultat de la combustion du charbon. Il s’agissait d’un des premiers questionnements scientifiques sur l’importance de la qualité de l’air pour les êtres vivants.
Des générations de botanistes ont continué à chercher des lichens à Paris, mais il a fallu attendre près d’un siècle pour en trouver. En 1986, le célèbre lichénologue britannique Mark Seaward a trouvé une seule espèce accrochée à la base de certains arbres du Jardin du Luxembourg. En 1990, lui et un collègue ont eu la joie d’en compter 11 au total.
Qu’est-ce qui a déclenché cette résurgence ? Avec les lois réduisant la pollution de l’air, l’atmosphère des villes est devenue plus propre et plus fraiche. Au lieu de tuer les lichens, l’air les nourrissait désormais.
C’était la même chose à New York, selon un guide de terrain sur les lichens urbains pour le nord-est de l’Amérique du Nord, rédigé par Jessica Allan et James Lendemer et publié cet automne par Yale University Press. En 1824, les passionnés du lichen comptaient 191 espèces dans un rayon de 50 miles autour de l’hôtel de ville de Manhattan. Au milieu du siècle suivant, presque toutes avaient disparu.
C’est alors qu’intervient la Loi sur la Qualité de l’air de 1970, qui régit la pollution atmosphérique aux États-Unis. Elle a été si efficace qu’aujourd’hui, une centaine d’espèces de lichens sont de retour dans la ville de New York, s’accrochant aux arbres, aux trottoirs et aux pierres tombales.
Le Canada a lui aussi connu des déserts de lichens. Dans les années 1960, une terrible pollution atmosphérique avait chassé les lichens des rues de Montréal et de Sudbury, deux des villes canadiennes dont les lichénologues ont gardé la trace. Aujourd’hui, grâce à des contrôles sur des toxines industrielles comme le dioxyde de soufre, le Canada possède l’une des plus grandes richesses en lichens de tous les pays du monde, avec plus de 2 500 espèces. Selon le guide de terrain, la ville de Toronto compte à elle seule 138 espèces.
La résurrection des lichens urbains raconte une histoire puissante sur les effets de la pollution, bien sûr, et sur la nécessité de lois pour contrôler les substances toxiques. Mais il me semble qu’il y a d’autres leçons à tirer de la chair fragile de ces étranges créatures.
Les lichens sont composés d’au moins deux autres organismes, généralement un champignon et une algue ou une cyanobactérie. Parfois, un lichen est une combinaison de ces trois organismes. Ils dépendent les uns des autres, ce pour quoi on les appelle symbiotes.
Lorsque les créatures fusionnent, elles passent par un processus appelé « lichénisation » pour créer la nouvelle forme de vie. Pensez aux robots- jouets « transformeurs », qui peuvent passer d’une forme à une autre. Les champignons fournissent la nouvelle architecture protectrice du lichen. Les algues ou les cyanobactéries forment une couche à l’intérieur et fournissent la nourriture par photosynthèse de la lumière solaire. Curieusement, lorsque les botanistes séparent le lichen de ses composants en laboratoire, ces derniers se développent comme le champignon, l’algue ou la cyanobactérie d’origine, reprenant la forme non lichénisée. Plus étrangement encore, c’est le champignon qui détient la mémoire de la métamorphose. Lorsqu’il entre à nouveau en contact avec son espèce symbiote, la tendance du champignon à devenir un lichen se réactive comme un interrupteur, et la transformation recommence. Les algues ou les cyanobactéries suivent le mouvement.
Une fois formé, le lichen abrite tout un univers de vie : bactéries, autres champignons, vers microscopiques et minuscules tardigrades en forme de bonhomme Michelin. Et les lichens nourrissent de nombreuses autres créatures, y compris les oiseaux qui font de certains d’entre eux des nids comestibles.
Il s’agit d’une métaphore puissante de notre époque biologiquement perturbée, où un million d’espèces sont actuellement menacées d’extinction à cause des actions humaines. Nous endommageons le système de survie même de la planète.
Et si la voie à suivre était de penser comme un lichen? Nous dépendons des autres espèces. Elles dépendent de nous. Cela signifie que les humains sont des symbiotes des autres formes de vie de la planète. Ensemble, nous pouvons créer de nouvelles réalités, de nouvelles communautés de vie. Nous pouvons faire basculer l’interrupteur.
Comme le lichen, nous pouvons littéralement changer la forme de l’avenir.
Tiré du magazine Biosphère. Pour découvrir le magazine, cliquez ici. Pour vous abonner à la version imprimée ou numérique ou bien acheter le dernier numéro, cliquez ici.