Une nouvelle façon d’envisager l’industrie de la pêche et son effet sur la faune marine

Le problème de l’enchevêtrement de nos animaux marins dans des engins de pêche est un sujet brûlant depuis quelques années.

Les engins de pêche fixes utilisés pour pêcher le homard et le crabe des neiges sans surveillance dans le Canada atlantique constituent une menace importante pour les baleines noires de l’Atlantique Nord qui migrent dans la région pour se nourrir, principalement entre avril et octobre. Depuis un pic de mortalité en 2017 où 17 baleines noires de l’Atlantique Nord ont été retrouvées mortes – dont 12 dans le golfe du Saint-Laurent – le gouvernement du Canada a mis en œuvre des mesures de gestion dans l’ensemble du Canada atlantique pour conserver l’espèce. Une de ces mesures est la fermeture des pêches lorsqu’une baleine noire est détectée dans une région. Toutes les activités de pêche qui présentent un risque d’enchevêtrement doivent alors être arrêtées à cet endroit.

Afin d’atténuer le risque d’enchevêtrement pour les baleines noires de l’Atlantique Nord et de réduire les pertes économiques pour l’industrie de la pêche, l’équipe de la biologie marine de la Fédération canadienne de la faune travaille en étroite collaboration avec les pêcheurs, le gouvernement et les fabricants pour tester en mer divers systèmes de pêche à la demande.

Divers types de systèmes de pêche à la demande comparativement au système traditionnel de bouée et filin. Source : NOAA Fisheries.

Les systèmes de pêche à la demande éliminent le filin de bouée verticale qui demeure dans la colonne d’eau et le remplacent par un sac de levage ou le rangent dans une cage reliée à des casiers au fond de la mer. Les pêcheurs peuvent alors utiliser la technologie acoustique de leur navire pour relever leurs casiers lorsqu’ils sont prêts à remonter leurs prises. Ces systèmes constituent un outil utile lorsqu’une baleine noire de l’Atlantique Nord est présente dans une région où a lieu une fermeture, car ils présentent un risque minimal d’enchevêtrement pour les baleines et permettent aux pêcheurs de continuer à pêcher.

Baleine noire de l’Atlantique Nord enchevêtrée aperçue environ 80 kilometres au large de l’île Block (Rhode Island) en avril 2024. Source : NOAA Fisheries.

Afin d’aider les pêcheurs touchés par les fermetures, le programme de prêt d’engins de pêche InnovPêche a été mis sur pied en 2022 dans le but d’acheter et de prêter gratuitement des systèmes de pêche à la demande à partir d’un ensemble d’engins de pêche. Une équipe de technologues qualifiés livre l’engin directement au quai, donne une formation en mer et laisse l’engin au pêcheur pour le reste de sa saison.

Le programme permet aux personnes qui le veulent d’utiliser des engins sans danger pour les baleines et de recueillir des données sur leur utilisation dans l’industrie de la pêche commerciale et leur utilité. À ce jour, le programme InnovPêche a aidé 14 pêcheurs touchés par des fermetures en Nouvelle-Écosse et à l’Île-du-Prince-Édouard et a retiré 537 filins de bouée de la colonne d’eau et permis de récolter 343 850 livres de crabe des neiges à l’aide d’engins de pêche à la demande. Lisez l’entretien entre la FCF et un des premiers pêcheurs à avoir utilisé le programme de prêt d’engins à l’Île-du-Prince-Édouard, ouvrant ainsi la voie à la coexistence des baleines et des hommes au sein d’une petite communauté de pêcheurs.

Entretien avec Alden Gaudet

Système de pêche à la demande (coin inférieur droit) attaché à un chalut à homard déployé à partir d’un navire de pêche commerciale dans Clarks Harbour, Nouvelle-Écosse. Source : Hanna Vatcher, Fédération canadienne de la faune

FCF : Parlez-moi de vous. Où pêchez-vous, quelles espèces et pendant combien de temps, et quand avez-vous commencé à utiliser des engins à la demande?

AG : Je pêche le crabe des neiges à partir de Tignish, à l’Île-du-Prince-Édouard, depuis 2011 et le homard depuis 1995. Nous avons commencé à avoir des problèmes avec les baleines noires en 2017 pendant la crise de mortalité, lorsque ma zone de pêche a été fermée. En 2022, la zone a été fermée de nouveau et c’est à ce moment-là que j’ai fait appel au programme de prêt d’engins InnovPêche pour obtenir des engins à la demande.

FCF : Quelles ont été vos premières impressions des engins de pêche à la demande et comment ont-ils changé vos méthodes de pêche régulières?

AG : Au début, j’étais assez hésitant à propos de la technologie à la demande et de la nécessité de changer mes pratiques de pêche habituelles. Il m’a fallu un peu de temps pour apprendre les techniques et les deux premières sorties de pêche n’ont pas donné des taux de capture très élevés. Une fois que nous avons trouvé notre rythme de croisière, nous avons commencé à améliorer nos prises et nous avons réalisé que nous avions un énorme avantage à pouvoir pêcher dans une zone fermée.

FCF : Pensez-vous que les engins de pêche à la demande sont un outil efficace pour les pêcheurs durant les fermetures dues à la présence de baleines noires de l’Atlantique Nord? Parlez-nous un peu de votre expérience des fermetures dans votre zone de pêche et des options actuellement disponibles pour continuer à pêcher.

AG : Je pense que les engins de pêche à la demande, lorsqu’ils sont utilisés correctement, sont essentiels dans les zones de pêche fermées lorsque des baleines noires sont présentes. Les pêcheurs peuvent travailler ensemble pour tirer le meilleur parti d’une situation frustrante et s’adapter à la nouvelle technologie qui existe pour leur faciliter la vie. Avant la création du programme de prêt d’engins de pêche InnovPêche, les pêcheurs disposaient de très peu d’options pour continuer à pêcher dans une zone fermée et maintenir leurs moyens de subsistance.

FCF : Comment se sentent généralement les pêcheurs à propos des engins de pêche à la demande? Avez-vous remarqué un changement dans la perception et l’acceptation de leur utilisation?

AG : Lorsque j’ai utilisé pour la première fois des engins de pêche à la demande pour continuer à pêcher pendant la fermeture en 2022, l’attitude générale sur le quai était le scepticisme et la méfiance. Le dicton « les vieilles habitudes ont la vie dure » s’applique définitivement à l’industrie de la pêche, et le changement peut être difficile pour de nombreuses personnes. Cependant, tant qu’une fermeture ne vous touche pas et que votre moyen d’existence n’est pas menacé, il y aura de la résistance. J’ai constaté qu’une fois que les pêcheurs sont devenus plus à l’aise avec la pêche à la demande et qu’ils ont pu rapporter des prises au quai, ils ont commencé à repenser leur raison d’être et à les voir comme un moyen de surmonter les obstacles auxquels nous sommes confrontés.

FCF : Quel est, selon vous, le plus grand défi lié à l’utilisation des engins de pêche à la demande, et le plus grand avantage?

AG : Le plus gros défi lié à l’utilisation d’engins de pêche à la demande est de savoir où se trouve le chalut sur le fond marin en l’absence de bouée de surface, et de ne pas superposer ses casiers à ceux d’un autre pêcheur. Le plus grand avantage serait de continuer à pêcher, de savoir que les pêcheurs bénéficient d’un soutien pendant cette période difficile et de faire ma part pour aider à prévenir les enchevêtrements.

L’équipe de biologie marine de la FCF mène depuis 2019 un vaste programme d’essai d’engins à la demande. Neuf systèmes ont fait l’objet d’essais avec 16 partenaires pêcheurs et plus de 1 000 déploiements ont été réalisés dans trois provinces. Récemment, l’équipe a testé divers systèmes pour marquer avec précision où se trouvent les engins sur le fond marin. Les données recueillies dans le cadre de ces essais soutiennent directement le programme de prêt d’engins en fournissant aux pêcheurs les engins les mieux adaptés à leurs conditions de pêche. Il en résulte une situation gagnant-gagnant : aucune perte de revenus pour le pêcheur et une réduction du risque d’enchevêtrement pour les baleines en voie de disparition.

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